Centrafrique : La problématique du développement de l’agriculture et la lutte contre le changement climatique, un expert en parle
Publié par Oubangui Médias | 5 Déc 2022 | Actualité, Interview | 0 |

La République Centrafricaine fait face aux aléas dus au changement climatique. Le secteur d’agriculture est affecté suite à ces problèmes environnementaux. Ce pays dispose d’énormes potentialités en termes des ressources naturelles mais sa situation économique reste très précaire.
La pression exercée sur les écosystèmes forestiers faisant suite à la conversion de la forêt et la savane en zone arable a entraîné d’une part la dégradation des terres qui se généralise sur l’ensemble du territoire national. Ceci a d’autre part un impact direct sur la production agricole et sur la sécurité alimentaire. Oubangui Médias a pu échanger avec l’expert Fernand Mboutou, Enseignant Chercheur qui nous explique quelle approche adopter pour lutter contre le changement climatique en RCA et en même temps préserver la sécurité alimentaire.
Oubangui Médias : Bonjour monsieur l’expert, comment expliquez-vous la problématique entre le changement climatique et la pratique de l’agriculture ?
Fernand Mboutou : Bonjour; la question du changement climatique lié à la pratique de l’agriculture est d’actualité. Aujourd’hui, les données nous montrent qu’en Centrafrique les activités agricoles viennent au deuxième rang des émissions des gaz à effet de serre après l’énergie. Ce qui veut dire que les pratiques du système agricole doivent être revu systématiquement au regard des efforts à faire pour la mise en œuvre de la CDN en lien aux accords Paris sur le changement climatique. Ceci étant dit, Il faut un travail de fond au niveau des départements, de l’agriculture, de l’enseignement supérieur mais en accord avec les enseignements dans les écoles de formation professionnelle qui devraient résulter par un changement de comportement et de mode de vie de la communauté (producteurs, éleveurs) pour amener les gens à comprendre quelle pratique doit-on adopter pour qu’il y ait une atténuation d’une part et d’autre part pour continuer à produire et assurer la sécurité alimentaire.
Oubangui Médias : Selon vous, quelles sont les mesures nécessaires d’adaptation qu’on peut prendre par exemple sur le sol de la Lobaye et de la Vakaga ?
Fernand Mboutou : Les sols dans ces deux préfectures : la Lobaye et la Vakaga ne sont pas les mêmes. Ils sont de différents textures et de différentes structures. Les mesures d’adaptation et d’atténuation vont avec une bonne connaissance des ces sols et des cultures qui vont avec pour une gestion durable. Dans le sud c’est des sols sablonneux lumineux trop friables et facilement lexiviables. Dans le nord à Vakaga, c’est un sol sablo-argileux et comme nos planteurs font de l’agriculture sur brûlis d’année en année, ils font reculer le front forestier et petit a petit la savane gagne sur la forêt. Plus y a des étendues qui sont déboises chaque année la forêt perd en surface et les brûlis cumulent les carbones et donc le gaz a effet de serre. Il va falloir indéniablement opter pour la sédentarisation des producteurs et ceci vas avec l’affectation des espaces et le code foncier bien sûr, car il faudra de l’espace ou un éleveur ou agriculteur pour s’installer durablement et produire sans nuire à l’environnement. Les lots de 30 m sur 30 m sont très insuffisant pour concilier toutes ces considérations.
Voilà il y a des problèmes au niveau de la pratique des modes de culture et des systèmes de production qui est l’affaire de plusieurs départements à la fois. C’est une éducation qui doit se faire sur une longue période et qui est plus développée dans d’autres pays en ce moment que chez nous en Centrafrique. Ce n’est pas une formation dans les salles de classe, mais au niveau du champ. Les gens apprennent par expérience pour retenir la bonne pratique avec l’appui des chercheurs, des vulgarisateurs. C’est une approche de changement de comportement qui va prendre du temps et nécessite de l’investissement et dont les résultats se feront sentir plus tard.
Oubangui Médias : Mais pour travailler la terre et lutter contre le changement, quelle est l’approche idéale?
Fernand Mboutou : L’approche champ école paysan est idéale. Il est développé au Rwanda où j’ai été pour ma formation en tant que maître formateur sur 6 mois. C’est développé au Gabon, côté de nous au RDC, au Burundi, au Kenya, au Somali. Il s’agit ici d’une approche qui favorise le changement de comportement. Bien entendue, cela prend du temps et nécessite de l’ investissement et pour la formation du capital humain, pour diponibiliser les intrants nécessaires. C’est-à-dire, la formation des formateurs, des facilitateurs et des apprenants. Un ingénieur agronome n’est pas un maître formateur en approche champ école. Il va falloir le former après son diplôme et cela peut prendre 6 à 9 mois selon le domaine d’apprentissage notamment la production vivrière, la production animale ou la pêche etc. Cette approche intègre tous les autres thématiques transversaux de la vie. Maintenant, il y a certains projets au niveau du ministère de l’agriculture qui introduit cette approche mais il faudrait un encadrement sérieux et des maîtres formateurs reconnus par le réseau Afrique Centrale et de l’Ouest parce qu’aujourd’hui, ce réseau doit surveiller la mise en œuvre de ces pratiques. Une alternative pour minimiser le coût de formation est d’intégrer cette approche comme un module de formation pour les étudiants ingénieurs et licenciés professionnels qui sont fin de cycle.

Oubangui Médias : On ne peut parler de l’effet dévastateur du changement climatique sans la sécurité alimentaire ?
Fernand Mboutou : La sécurité alimentaire est la combinaison des résultats de la consommation alimentaire qui lui-même dépend des facteurs contributifs (pluviométrie, accès à la terre, qualité de semences, sécurité civile, etc.), de l’évolution des moyens d’existence qui est aussi liée à bien d’autres facteurs contributifs, de l’état nutritionnel et de la morbidité infantile. Bien souvent on confend la disponibilité alimentaire à la sécurité alimentaire ce qui est totalement faut.
Le facteur aggravant pour la RCA de l’insécurité alimentaire, est l’insécurité civile. En effet, les gens ne peuvent pas se déplacer pour aller aux champs. Ils sont inquiets et ne font que des petites parcelles autour des cases. Il va falloir travailler sur le fond pour ramener la quiétude. Sans la sécurité civile, ce problème d’insécurité alimentaire ira de pire en pire.
Les dernières cartes d’analyse de l’insécurité alimentaire du pays qui ont été produites par le groupe interministériel sous l’égide de la FAO chaque 6 mois indiquent que tout le pays est en phase humanitaire de phase 3 à 4 de l’IPC. c’est à dire les phases de crise et d’urgence , ce qui justifie les interventions humanitaires et qui coûtent énormément, même si on le fait passer sous le vocable humanitaire. La sécurité alimentaire n’est pas seulement d’avoir les semences mais il faut avoir aussi accès à la terre pour cultiver et sécuriser toute les chaînes des valeurs jusqu’aux consommateurs en tout temps avec des aliments sains. Tout ça nécessite du sérieux, beaucoup de travail et d’attention, mais aussi d’engagement politique et des investissements conséquents.
L’ISDR, loin d’être considéré comme une petite faculté de l’Université de Bangui, aurait dû être une université agronomique avec des facultés de production agricole, reproduction animal, de foresterie etc. Je rappel que l’ISDR a plus de 250 ha et pas même 1 seul ha est en exploitation et pourtant l’ISDR forme des cadres supérieurs. la RCA est un pays agro-pastorale avec des atouts considérable. Pourquoi des 18 millions ha de terres agricoles, on a pas des objectifs chiffrés pour chaque région et par spéculation ? Autant des questions qu’on peut se poser !!!
Oubangui Médias : Mr Fernand Mboutou, nous vous remercions
Fernand Mboutou : c’est à moi de vous remercier

 Zarambaud Mamadou