Du 10 au 16 janvier 2022, les évêques de Centrafrique se sont réunis en Conférence épiscopal dans l’optique de prier, méditer, et partager sur les différentes situations humanitaires, sécuritaires dans le pays et ecclésiastiques au sein des églises catholiques en Centrafrique. A cet effet, ils ont organisé le dimanche dernier à la Cathédrale Notre Dame Immaculée Conception de Bangui, une messe d’action de grâce. L’occasion pour les évêques de délivrer leur traditionnel message de fin de session aux  autorités du pays en l’occurrence le Président Faustin Archange Touadera et le Premier Ministre Henri-Marie Dondra, présents à cette messe.

Une exacerbation des tensions diplomatiques et géopolitiques 

C’est avec consternation et beaucoup de questionnements que nous assistons à des sorties médiatiques et des compagnes de désinformation visant à ternir l’image et la réputation de notre pays afin de maintenir les tensions conflictuelles au mépris de la souveraineté de l’État centrafricain. Cette situation vise à marginaliser et à isoler notre pays sur le plan diplomatique et international et cause un grand dommage économique dans le partenariat avec les institutions financières internationales qui soutiennent l’économie fragile de la République centrafricaine.  

Pendant ce temps, à l’intérieur du pays, certains groupes armés demeurent actifs et commettent des exactions. Nos ressources naturelles, minières et forestières sont pillées. Nous assistons aujourd’hui à une exploitation abusive et effrénée de ces ressources par les étrangers avec la complicité de certains compatriotes. La dégradation et la destruction de notre environnement sont effrayantes. Nous souhaitons que la transparence soit faite autour des conventions entre la Centrafrique et les partenaires et pays étrangers.

Une accentuation de crise de valeurs

C’est avec beaucoup d’inquiétude que nous constatons la déliquescence et l’effondrement du système éducatif avec la montée de l’incivisme et du vandalisme, la perte du sens du patriotisme, la culture de la violence et de la justice populaire. La corruption, l’enrichissement illicite, la gabegie, l’incompétence et le manque de la déontologie professionnelle dans certains services de l’État, l’abus d’autorité et l’injustice sont autant des symptômes qui traduisent et mettent à grand jour la crise de valeurs morales fondamentales.       

La perte de l’autorité parentale précarise les enfants et les exposes à la déperdition scolaire, à la manipulation, à des pratiques immorales, à l’incivisme et à l’enrôlement dans les groupes armés. Des adultes véreux, forts de leur stature et position sociale, profitent de leur naïveté et les exploitent à des fins sexuelles, hypothéquant ainsi leur jeunesse et leur avenir.

L’absence aujourd’hui, des cours d’éducation civique, naguère donnés dans les établissements, visant à former au sens des valeurs civiques, des responsabilités citoyennes et à la culture du patriotisme, constitue un manquement grave dans le processus de la construction d’une nation. On ne bâtit pas une nation sur la base d’antivaleurs, mais par le travail patient, pénible certes, mais combien noble de l’éducation aux valeurs sûres qui feront des uns et des autres de véritables citoyens engagés au service de leur pays et de leur patrie.

Une forme nouvelle de crise d’unité

Face au retrait de différents leaders de partis politiques d’opposition du processus du dialogue républicain, nous nous interrogeons sur l’impact réel d’un tel exercice politique dans la recherche d’un retour à la paix, à la concorde et à la réconciliation nationale. Nous formulons le vœu pressant que ce dialogue soit inclusif et authentique. Il ne doit pas non plus devenir une patente pour l’impunité. Il n’est pas question de sacrifier les exigences de la justice sur l’hôtel du politique.

Donnons à notre pays la chance de vivre enfin dans la paix ! Donnons à notre pays l’opportunité de regagner dignement sa place dans le concert des nations et enfin respecté comme une nation souveraine à part entière.

Si le présent et l’horizon politique de notre pays semblent incertains à causes des tensions diplomatiques et géopolitiques, d’une crise accentuée de valeurs ou d’unité, nous croyons que l’esprit du synode peut inspirer la marche de notre peuple et nourrir ses aspirations profondes. En effet, comme le rappelle le document préparatoire, le synode en tant qu’évènement ecclésial a pour but essentiel de : « faire germer des rêves, susciter des prophéties et des visions, faire fleurir l’Esperance, stimuler la confiance, bander les blessures, tisser des relations, ressusciter une aube d’Esperance, apprendre l’un de l’autre, et créer un imaginaire positif qui illumine les esprits, réchauffe les cœurs, redonne des forces aux mains… ».

Piste de solution à la lumière du synode

Marcher ensemble malgré nos différences

Marcher ensemble ne nivelle pas les différences et les spécificités propres de notre fraternité. La différence n’est ni une tare, ni un défaut mais plutôt une richesse et un don de Dieu. Oui, unité ne veut pas dire uniformité. Un dialogue authentique et réussi sur la base de nos expériences communes de souffrances est celui dans lequel il y a aussi place pour les dissonances et pour les désaccords. Nos expériences de souffrance sont des occasions susceptibles de nous unir afin de bâtir ensemble la République centrafricaine.

Guérir ensemble nos blessures d’hier et d’aujourd’hui

Notre mémoire collective porte tellement de stigmates d’un passé historique national traumatisant qu’elle peut être, elle aussi, qualifiée de mémoire collective de souffrance. C’est ici lieu d’affirmer haut et fort qu’il n’y a pas d’avenir possible :

Sans un travail de mémoire et de deuil du passé qui permet au peuple centrafricain de guérir les traumatismes du passé qui le hantent ;

Sans un travail de libération de la parole qui fait droit aux victimes et à tous ceux dont les doits ont été lésés ;

Sans un exercice de vérité et d’imputabilité qui inflige des châtiments et sanctions aux coupables ;

Sans la compassion qui restaure la dignité des faibles et des petits.

Voilà pourquoi l’église espère et porte une attention particulière à la pleine opérationnalisation de la Cour Pénal Spéciale, à la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation, à la mise en application du programme Désarmement, Démobilisation, Réintégration, Réinsertion et Rapatriement ainsi qu’à celle des recommandations issues du Forum de Bangui.

Nous faisons confiance la justice. Nous souhaitons que les institutions judiciaires de notre pays soient soutenues et accompagnées par la Communauté Internationale. Nous les encourageons à ne pas baisser les bras ; à poursuivre les enquêtes judiciaires afin d’établir la vérité et les responsabilités relatives aux crimes et graves violations des droits de l’homme commis dans notre pays.

Chers frères et sœurs, nous terminons ce message en rêvant d’un véritable renversement de paradigme qui donne à penser qu’un avenir meilleur pour notre pays, qu’une autre République centrafricaine où ses fils et ses filles vivent dans la concorde et dans la paix est possible.

Brice Ledoux Saramalet