A l’attention de Monsieur le Président de la Commission mixte sur le Projet de Loi régissant Ia Cryptomonnaie en République Centrafricaine

Objet: Fortes réserves sur les conclusions du rapport de la Commission.

Monsieur le Président, Par la présente, nous souhaitons apporter quelques réflexions sur l’objet de la Loi, son opportunité et vous informer de notre position par rapport aux conclusions du rapport de la Commission, dont nous sommes membres.

la cryptomonnaie: ses avantages et ses inconvénients

La grave crise des subprimes de 2008 a entamé la confiance de investisseurs envers le secteur bancaire traditionnel et favorisé l’émergence en 2009 d’une monnaie virtuelle issue des avancées technologiques dans la finance (Fintech), la crypto monnaie, basée sur un protocole informatique dénommé blockchain.

ll s’agit d’une technologie numérique qui permet de stocker des données, de transmettre des informations ou de réaliser des transactions dans une « chaine de blocs », de manière décentralisée et avec un degré élevé de sécurité, grâce à des algorithmes cryptographiques.

Le but poursuivi par les concepteurs de la crypto monnaie est d’offrir une alternative à tous ceux qui ne souhaitent plus dépendre des banques. La crypto monnaie est une devise 100o/o numérique, un système de transfert d’argent en ligne de pair en pair, sans passer par une banque.

La crypto monnaie n’a pas un cours légal reconnu par les pouvoirs publics. Sa valeur dépend de l’offre et de la demande. Elle ne repose pas sur un système centralisé et n’est pas encadrée par des règles strictes, ce qui favorise la fraude et l’expose aux arnaques et aux trafics illicites de tous genres.

La crypto monnaie la plus connue est le Bitcoin (BTC), dont les cours ont des variations soudaines et impressionnantes, dues notamment au fait que :

– Le BTC est côté en continu sur les places de marché des crypto monnaies ;

– ll est fortement sujet à la spéculation.

La jeunesse de cette monnaie et le fait qu’elle ne bénéficie ni d’un cours légal, ni de la garantie d’une banque centrale, ni d’une couverture par un fonds de garantie de dépôts, ni d’une règlementation formelle, l’expose aux risques ci-après :

1) C’est une monnaie extrêmement instable et volatile : son prix peut atteindre des sommets, mais peut également plonger du jour au lendemain ;

2) L’investisseur court un risque réel de perte en capital de tout ou partie de son capital, du fait d’une forte spéculation ;

3) ll court également des risques importants de fraude et d’escroquerie, dus à l’existence sur le marché d’un nombre important de courtiers peu scrupuleux ;

4) Du fait de l’absence de régulation formelle, l’investisseur ne bénéficie d’aucune garantie légale de remboursement en cas de pertes d’unités de crypto monnaie suite à une défaillance technique, une erreur humaine ou un vol ;

5) Malgré la sécurité des systèmes informatiques, les risques de piratage et de vol de crypto monnaie demeurent d’autant plus réels qu’aucune institution ne supervise les protocoles de sécurisation des données relatives aux devises virtuelles ;

6) L’une des principales vulnérabilités réside dans l’anonymat de l’utilisateur et du fournisseur de service. Cela facilite l’utilisation des crypto monnaies dans des activités illicites comme le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

2- L’état des lieux de la règlementation sur les crypto monnaies dans la zone CEMAC

 Si l’on doit admettre que le développement de la crypto monnaie est une mutation irréversible qui offrira dans l’avenir des opportunités nombreuses et variées aux investisseurs, il est prudent de ne pas aller plus vite que la musique.

En effet, les plus grandes Banques centrales à travers le monde ne sont encore qu’en phase de conception d’un cadre réglementaire de la crypto monnaie et d’exploration en vue de la création de leur propre monnaie digitale de banque centrale. Ainsi, en dehors du Mexique, aucune juridiction au Monde ne dispose d’un cadre réglementaire spécifique dédié à l’encadrement des activités des Fin Tech.

La BEAC, banque centrale de la CEMAC, a juste entamé les réflexions sur la monnaie digitale et sur son utilisation dans notre contexte économique afin d’améliorer l’inclusion financière. ll s’agit pour elle de s’approprier les mutations financières en cours afin d’en tirer toutes les opportunités pour le système financier de l’Afrique centrale, tout en atténuant les risques.

C’est dans ce sens qu’un Groupe de travail sur les Fintech, les crypto monnaies et la blockchain a été mis en place en 2018, pour :

– Approfondir l’état des lieux de ces nouvelles technologies financières dans l’espace CEMAC ;

– Accélérer l’élaboration de la stratégie régionale d’inclusion financière dans la CEMAC ;

– Engager des travaux, en collaboration avec la COBAC et la COSUMAF, pour la mise en place d’un cadre réglementaire adapté et d’une supervision prudentielle ;

– Renforcer les capacités de la BEAC et de la COBAC dans le domaine des Fintech ;

 – Approfondir les possibilités d’application de la technologie blockchain et DLT aux activités de la BEAC et de la COBAC, notamment l’identifiant unique, le système des paiements et une monnaie digitale de banque centrale ;

– Engager les discussions avec les autorités de régulation des télécommunications afin de faciliter l’accès aux codes USSD, canaux essentiels pour la diffusion des services financiers digitaux en Afrique, mais dont le coût demeure encore très prohibitif.

Pour le moment, il n’existe même pas encore de cadre réglementaire spécifique aux activités des sociétés de financement participatif (crowdfunding) dans la zone CEMAC. Certaines plateformes créées au Cameroun fonctionnent en marge de la réglementation et ont été sommées par l’Autorité monétaire, après une mise en garde de la Commission de supervision des marchés financiers (COSUMAF), de cesser activités et de rembourser sans délai l’argent collecté auprès du public, sous peine de sanction.

l’opportunité d’une loi sur la cryptomonnaie en République Centrafricaine

 ll est étrange et anormal que la RCA, qui est membre de la BEAC, soit le premier pays à prendre l’initiative d’une Loi sur la crypto monnaie, sans l’avis du Gouverneur de la BEAC et en dehors de tout cadre réglementaire communautaire. C’est une infraction grave.

ll est anormal également que notre pays, dont les besoins en ressources intérieures extérieures sont importants pour son fonctionnement, se lance dans une opération qui favorisera le blanchiment de l’argent sale, fera le lit de la fraude fiscale et de l’escroquerie, tout en compromettant les décaissements des grandes institutions internationales (Union Européenne, FMl, Banque Mondiale, etc.).

Cet intérêt soudain pour le Bitcoin manifesté par la RCA, pays le plus pauvre de la planète, qui n’exporte pratiquement aucune ressource et dont le système de communications connaît encore de graves lacunes, ne peut susciter que de la suspicion. Le rapport de la Commission mixte Economie et Plan/Equipement et Communication sur cette loi est très édifiant. En effet, non seulement ce rapport a été finalisé sans l’avis attendu du Gouverneur de la BEAC, mais force est de noter qu’aucune réponse concrète n’a été donnée aux questions très pertinentes posées par la Commission aux deux membres du Gouvernement qui ont été auditionnés.

La conclusion du rapport est donc largement en déphasage avec le déroulé des travaux. De ce fait, les membres de la Commission mixte que nous sommes se désolidarisent de la conclusion du rapport et expriment une très grande réserve quant à l’opportunité de cette Loi. Vous bien porter ces réserves à l’attention des Honorables Députés.

Fait à Bangui, le 20 avril 2022

Anicet Georges Dologuele

Martin Ziguele

Rachel Ngakola