À nouveau engagé dans le dialogue de sortie de crise en Centrafrique, le cardinal Dieudonné Nzapalainga espère contrer l’égoïsme des puissants. Le voilà de nouveau au cœur du chaos. En ce mois de décembre, le cardinal Dieudonné Nzapalainga, ancien archevêque de Bangui nommé au Sacré Collège en 2016 par le pape François, a décidé de reprendre la route. Le 13, le prélat centrafricain de 54 ans va quitter Bangui pour sillonner le pays, à la rencontre de ses évêques, de la population et, aussi, des combattants rebelles qui défient toujours le gouvernement.

Dialoguer, encore. Espérer, surtout, être en mesure d’endiguer la violence et de favoriser cette paix qui semble fuir sa Centrafrique. Garder la foi, enfin, alors que l’espoir d’une élection libre s’est évanoui depuis un an dans une énième reprise des combats et de la violence. « Je dois y croire », explique-t-il à Jeune Afrique, alors que nous le contactons par téléphone à son domicile de Bangui.

Jeune Afrique : Il y a un an, la Centrafrique s’apprêtait à voter pour l’élection présidentielle et espérait mettre la guerre civile derrière elle. Depuis, le pays est retombé une nouvelle fois dans la violence. Est-ce décourageant ?

Cardinal Dieudonné Nzapalainga : Il est vrai qu’il y a eu beaucoup d’espoir. Les Centrafricains espéraient aller aux élections et s’y exprimer librement. Cela n’a pas été le cas, si ce n’est à de rares endroits à Bangui ou dans certaines villes. À la place, nous avons eu la violence et la souffrance. Évidemment, cela peut créer de la déception, amener les gens à se poser des questions. Mais ça ne peut pas être le cas pour quelqu’un qui, comme moi, est un croyant, qui plus est un leader religieux. Je reste persuadé que, dans le cœur de chacun, il y a la puissance nécessaire pour amener le changement. Je dois y croire et être présent pour chercher chez l’homme cette force qui nous permettra de nous construire, de mettre de côté nos égoïsmes et d’arrêter de nous autodétruire.

Les derniers accords de paix ne datent que de février 2019. Comment expliquez-vous que la violence soit revenue aussi rapidement ?

Je crois qu’il y a eu un manque de sincérité. À Khartoum, certains sont venus dialoguer avec des intentions cachées. Ils ont signé pour la paix mais le cœur n’y était pas. Ils ne pensaient pas au développement du pays, à la fin de la souffrance et de la misère. Quand on regarde l’état de délabrement de la Centrafrique, on pourrait s’attendre à ce que cela provoque un sursaut patriotique, mais cela n’est pas le cas.

Dans les deux camps, les intérêts égoïstes continuent de prendre le dessus. On se bat pour des ressources, pour des mines, pour de l’or. On se bat pour la conquête d’un pouvoir, d’un territoire, d’un sous-sol. Quoi qu’on en dise, que ce soit dans le cas de la Séléka il y a des années, ou aujourd’hui de la CPC [Coalition des patriotes pour le changement], il n’y a aucune homogénéité au sein des groupes armés. Ils ne se battent pas pour le peuple. Ils n’ont que des intérêts qui finissent souvent par diverger.

Récemment, Hassan Bouba, ministre issu des groupes armés et suspecté de crimes par la Cour pénale spéciale, a été arrêté puis relâché sans avoir été jugé. Est-ce un mauvais message envoyé aux victimes ?

Dès 2015, au forum de Bangui, nous avons dit : « Non à l’impunité. » Nous avons dit : « Si nous voulons la paix et l’État de droit, il faut une justice indépendante et libre. » Le président actuel était présent et tenait le même discours. Pourtant, dans cette affaire, ce n’est pas cette justice que nous avons vue. Bien sûr, le ministre est présumé innocent. Mais, s’il est suspecté de crimes, pourquoi n’est-il pas resté en détention le temps que la justice détermine, en toute indépendance, s’il est coupable ou non ? Il n’aurait pas dû sortir de prison avant cela.

Le gouvernement centrafricain travaille à l’organisation d’un dialogue national. Qu’en attendez-vous et quel rôle pourrez-vous y jouer ?

Notre rôle est toujours le même : celui de la médiation. Nous avons un représentant dans l’équipe de préparation du dialogue. Sa mission est d’aider les autres parties et de les guider au-delà de leurs intérêts personnels et politiciens. Ce dialogue doit absolument être celui de la remise en question, de la sincérité. En Centrafrique, nos enfants sont nés dans la guerre et ont grandi dans la guerre. Est-ce que nous allons les laisser mourir dans la guerre ? C’est la seule question qui doit être à l’esprit des parties présentes au dialogue. Le rôle de notre Église est de leur rappeler.

Quel est le message que vous adresseriez au président et à son gouvernement avant ce dialogue ?

Je leur demanderais d’oublier leurs intérêts personnels, de tendre la main à ceux qu’ils considèrent comme leurs adversaires. Jésus a tendu la main. Jésus a donné une nouvelle chance à ceux qui s’étaient égarés. C’est le jusqu’au-boutisme qui nous a conduits à la situation dans laquelle nous sommes.

Parlez-vous également avec les groupes rebelles de la CPC ?

Oui. D’ailleurs, quand ils ont attaqué Bangui, en décembre 2020, nous sommes allés les voir. Nous leur avons expliqué que les victimes de leur attaque étaient des frères, des sœurs, des mères. Nous parlons à tout le monde pour faire cesser les violences. C’est une tâche difficile car il faut absorber l’agressivité et la transformer en dialogue. Il faut toucher le cœur des rebelles mais aussi consoler les victimes, leur expliquer qu’il ne faut pas tomber dans la vengeance et faire confiance à la justice. C’est le seul chemin.

À la tête de la CPC se trouve officiellement François Bozizé, ancien président de la République et fervent chrétien. Comprenez-vous son choix de reprendre les armes et vous a-t-il déçu ?

La question est toujours la même : nos hommes politiques sont-ils capables de dépasser leurs intérêts personnels égoïstes pour vraiment travailler au vivre ensemble ? Dans le cas de l’ancien président François Bozizé, la réponse a été claire. Il a choisi le chaos. Il est désormais face à sa conscience. Comment le vit-il ? Si vous voyez l’intéressé, vous pourrez lui poser la question. Ce que je sais pour ma part, c’est que la Bible dit : « Tu ne tueras point. » Elle dit aussi de s’aimer les uns les autres. Aujourd’hui, en Centrafrique, nous en sommes loin.

Votre pays est au cœur des interrogations sur la place et l’influence prises par la Russie en Afrique. Que pensez-vous de cette polémique ?

Je crois qu’il faut revenir un peu aux origines : les Russes se sont engouffrés dans une ouverture qui avait été faite par la France. Quand la France a passé un accord à l’ONU avec Moscou pour permettre de livrer en Centrafrique des armes saisies en Somalie, elle a entrouvert une porte pour que l’éléphant russe entre dans notre maison. Maintenant, il est à l’intérieur et il s’est installé. Il est d’autant plus à l’aise que, sans lui, le président Touadéra et son gouvernement auraient sans doute été renversés en décembre 2020. Ce ne devait être que quelques armes et des instructeurs, mais quand les Russes sont arrivés, ils ont vu l’état de chaos dans lequel est notre pays et se sont dit qu’ils pouvaient aussi faire des affaires, implanter des entreprises, acheter des matières premières, exploiter des mines… Ils sont venus. Ils ont vu. Ils ont profité.

Comment l’Église doit-elle réagir face à cette situation ?

Nous devons réagir, condamner, tout faire pour empêcher les exactions qui touchent les populations civiles. En réalité, la question qui se pose en Centrafrique avec Wagner, c’est celle, plus vaste, de la guerre privée. Elle se pose et s’est posée ailleurs dans le monde. Comme en Irak il y a quelques années avec les Américains, nous avons aujourd’hui des mercenaires envoyés en Centrafrique avec l’aval de la Fédération de Russie. Ce ne sont pas des enfants de chœur. Oui, ils ont sauvé le gouvernement et ont rétabli un semblant de libre circulation à certains endroits. Mais cessons de dire que ces mercenaires se battent pour protéger le peuple. C’est faux : ils se battent pour des intérêts économiques égoïstes. Sur notre territoire se déroule un conflit de superpuissances qui a pour conséquence de prendre la population en otage. La Centrafrique n’est pas une jungle ou un far west pour les grandes puissances. Les droits de l’homme, ce n’est pas uniquement pour l’Europe, c’est aussi pour nous.

Jeune Afrique