TotalEnergies a décidé de quitter la Centrafrique. Pourquoi ce départ ? Eléments de réponse dans cet article de l’Afrique Intelligent que nous reproduisons.

La major pétrolière française TotalEnergies cherche une porte de sortie de la Centrafrique. Elle va céder sa filiale, plus importante entreprise du pays, en vendant ses actifs à Tamoil, société d’origine libyenne basée en Europe.

Criblée de dettes, et placée depuis plusieurs mois au centre d’incessantes polémiques, la filiale centrafricaine de TotalEnergies change de main. Le géant français cédera le contrôle de ses actifs dans le pays ce mois-ci à Tamoil, après des négociations qui ont eu lieu ces derniers mois dans le plus grand secret. Ce groupe était autrefois l’entière propriété du fonds souverain Libya Africa Investment Porfolio (LAIP), qui en conserve toujours 30%. Domicilié aux Pays-Bas, il a été vendu en 2007 au fonds américain Colony Capital, et a ouvert une branche de trading à Genève en 2017 (AI du 20/04/17).

Une délégation de la société est attendue à Bangui la semaine prochaine, afin de rencontrer le président centrafricain Faustin-Archange Touadera. Tamoil prendra ainsi le contrôle des neuf stations-service et des 25 % que la major française détient dans la Société centrafricaine de stockage des produits pétroliers (Socasp). Même si l’Etat est propriétaire de la Socasp à 51 %, c’était TotalEnergies, principal distributeur du pays, qui gérait en grande partie l’approvisionnement de la cuve qu’elle détient. Le groupe français s’était investi en Centrafrique en 2000.

Selon nos informations, la transaction a été facilitée par la banque d’affaires parisienne Rochefort & associés, dirigée par Enguerrand Rochefort, et plus particulièrement par l’associé chargé des acquisitions, Simon Richet, un ancien de Lazard, qui a créé au mois de mars la filiale Rochefort International. Enguerrand Rochefort, 46 ans, a travaillé avec Jean-Marie Messier pendant huit ans avant de fonder sa banque d’affaires en 2012.

Un habitué de Bangui

Tamoil a été conseillé par l’entrepreneur français Laurent Foucher. L’ancien propriétaire du groupe de télécommunications Telecel Group, dont il a quitté le capital fin 2021, connaît particulièrement bien la Centrafrique. En 2016, cet ancien proche de Jean-Christophe Mitterrand avait acquis Telecel RCA. Les années suivantes, le quinquagénaire s’est appuyé sur sa filiale de Bangui pour diversifier son groupe dans plusieurs pays comme la Mauritanie et le Kenya, avant de céder ses parts en 2021 à son partenaire Hugues Mulliez, l’un des héritiers de la famille propriétaire du groupe Auchan.

C’est également depuis la capitale centrafricaine qu’il a octroyé, en 2017, un prêt de 8 millions d’euros à la candidate d’extrême droite à l’élection présidentielle française, Marine Le Pen, à des taux d’intérêt plus élevés que les standards. Selon Médiapart, ce prêt a fait l’objet en 2019 d’un signalement par Tracfin auprès du Parquet national financier.

Son épouse, Sophie Salque, 46 ans, possède des intérêts en Centrafrique. En 2021, elle a créé en France la société DAMC Global Corporate, qui a acquis l’entreprise de sécurité privée et de gardiennage BCAGS, active à Bangui et dirigée depuis 2011 par le Centrafricain Cyrille Damango, autre associé de DAMC. Or, le principal actionnaire de DAMC est la branche londonienne de Rochefort & associés, dont le président est aussi Enguerrand Rochefort.

Soulagement

Pour la société dirigée par Patrick Pouyanné, cette vente marque la fin d’un long chemin de croix. Bien que la filiale centrafricaine de TotalEnergies, plus importante entreprise de ce pays, ne représentait qu’une goutte d’eau dans le bilan des activités du groupe, elle avait contracté une dette importante du fait des impayés de l’Etat centrafricain. L’explosion des prix des hydrocarbures due à l’invasion russe de l’Ukraine avait compliqué davantage l’approvisionnement d’un pays enclavé, entraînant de régulières ruptures de stock et l’explosion du marché noir. Le relèvement des prix réglementés des carburants en janvier 2023 avait ainsi fait l’objet d’âpres négociations entre les autorités, qui craignent une explosion sociale, et les distributeurs, qui voyaient leurs marges réduites à néant (AI du 29/09/22).

Par ailleurs, TotalEnergies était, ces trois dernières années, régulièrement au centre de campagnes de dénigrement financées par la société paramilitaire russe Wagner, dont les relais sont proches du pouvoir, à l’instar de Didacien Kossimatchi de Galaxie nationale. Connu pour ses appels violents aux coups d’éclat, mais jamais suivis d’effets, le « griot » a ses entrées auprès du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra.

Ce retrait s’inscrit dans la redéfinition plus globale de la stratégie sur le continent de TotalEnergies Marketing et Service, la branche distribution du groupe, depuis la nomination en janvier 2022 du Français Jean-Philippe Torres à la tête de la division Afrique. Il y a un an, la major a vendu ses actifs au Niger (AI du 02/05/22). Selon nos informations, d’autres cessions sont à l’étude en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est.

Antoine Rolland

© Copyright Africa Intelligence.