Le processus alambiqué de réforme de l’État centrafricain confrontant depuis plusieurs mois sinon années le Régime de Bangui et l’Opposition démocratique a pris un tournant décisif à compter de la mi-Octobre 2022, suite notamment à la signature par le Président de la Republique Faustin Archange Touadera de plusieurs décrets pour non seulement rapporter et modifier le Décret de 2017 ratifiant la désignation des membres de la Cour constitutionnelle, mais également la composition de son bureau dirigé par le Professeur d’université Danièle Darlan.
Cette mesure étant intervenue après deux (2) revers successifs infligés au Régime Touadera par la Cour constitutionnelle, du fait d’abord du retoquage drastique du Projet Sango Papers adossé à la politique d’adoption et de mise en œuvre de la cryptomonnaie nationale Sangocoin, mais surtout de la mise à l’eau pure et simple du processus de la réécriture de la Constitution du 30 Mars 2016, le Décret du 25 Octobre 2022 mettant à l’écart le Président de la Cour Constitutionnelle Danièle Darlan au motif allégué « de départ à la retraite », passé pour fin normale de carrière professionnelle, constitue le point culminant sinon de non-retour du bras de fer engagé, d’autant que qualifié de « coup d’État constitutionnel », « destitution », « vengeance et représailles politiques » par les détracteurs du Régime, la nouvelle brèche, ouverte sous le regard stupéfait du grand public des citoyens nationaux et des partenaires internationaux, effraie bien plus qu’elle n’interpelle !
Quel faisceau sur cette actualité juridico-politique ?
Les circonstances de l’événement
Loin d’avoir pris naissance lors des Assises du Dialogue Républicain en fin Mars 2022, la bataille entre le Régime Touadera et l’Opposition démocratique a commencé en pleine période Covid-19 en Mars 2020, lorsque notamment une frange des Députés de la Majorité présidentielle crurent opportun initier un projet de « révision constitutionnelle » préconisant le maintien en place du Président de la République et de l’Assemblée Nationale en cas d’impossibilité d’organiser les élections générales dans les délais légaux impartis : La Cour constitutionnelle, sous la férule de son Président Danièle Darlan, répliqua à l’époque en battant en brèche la velléité de prolongation sine die des mandats présidentiel et parlementaire, au bénéfice du consensus républicain en cas d’impasse électorale avérée (cf. Avis du 5 Juin 2020).
Dans la suite des événements, il advint ce qui arriva constat pris des conditions dans lesquelles les élections générales, mais surtout la présidentielle, furent tenues le 27 Décembre 2020, à savoir sous la pression armée de la Coalition des Patriotes Centrafricains (CPC) : Les « forces alliées » (Armée centrafricaine, forces rwandaises et russes, outre celles de la Minusca gagnèrent certes la bataille militaire, mais celle hautement politique persiste…
Réélu et doté d’une assise parlementaire confortable, Faustin Archange Touadera se crut plus que jamais outillé pour mener et remporter le combat de promotion et défense de la souveraineté nationale, par la réforme de l’économie nationale (Projet Sangocoin), mais surtout par le renforcement et la consolidation de l’État républicain (réforme constitutionnelle). D’où la cristallisation du quiproquo avec la Cour constitutionnelle : Tel un époux contrarié par une conjointe par trop contestataire et pour défendre son honneur bafoué que d’agir À LA TRADITIONNELLE, en usant d’autoritarisme en répudiant publiquement sa dulcinée, pour espérer ainsi l’humilier, le Président de la République s’est cru permis de congédier le Président de la Cour constitutionnelle avec fracas !
Pour ce faire, il n’ eut aucunement à chercher loin, lui a-t-il suffi de mettre à profit le processus de réforme en cours au sein du Ministère de la Fonction publique par les mesures de toilettage du fichier du personnel administratif : La loi portant régime de retraite des Magistrats, adoptée par l’Assemblée Nationale avant les vacances parlementaires de la mi 2022, participant dudit processus, les derniers verdicts de la Cour Constitutionnelle, comme rendus en défaveur du Régime en Août et Septembre 2022, poussèrent tout autant le Gouvernement à mettre en collimateur, et comme par hasard, le corps des Enseignants d’université auquel appartiennent principalement le Professeur Danièle Darlan, le Président de la Cour constitutionnelle, mais également Simplice Mathieu Sarandji qui, comme Président de l’Assemblée Nationale, n’a pas hésité à lui apporté soutien, notamment dans son discours de Rentrée parlementaire 2022-2023…
Le Décret portant statut spécial des Enseignants d’université n’ayant pas prévu la limite d’âge de retraite, un second Décret fut très vite pris pour pallier la lacune, en fixant cette à « 65 ans », avant de voir entrer en scène les Ministres de la Fonction publique, en charge du secrétariat du Gouvernement, puis celui de l’Enseignement Supérieur, pour acter le départ à la retraite d’un parterre de Professeurs d’université dont particulièrement Simplice Mathieu Sarandji et Danièle Darlan.
Très certainement omis dans le Décret d’affectation et de mise à la retraite des Magistrats de l’Ordre judiciaire diffusé en fin Septembre 2022, le Magistrat et Juge constitutionnel Trinité Bango Sangafio fut rattrapé au bond, étant convié lui aussi à disposer le tablier au même titre que sa Collègue Danièle Darlan !
Convoqués en Assemblée générale dans la dernière semaine d’Octobre 2022, pour devoir élire « la remplaçante » de Danièle Darlan à la Cour constitutionnelle, les Enseignants de l’Université de Bangui durent conclure de l’impossibilité de l’opération, faute de candidature féminine idoine. En réaction et pour fermer définitivement la porte par derrière elle, Danièle Darlan opta de DÉMISSIONNER de son poste à la Cour constitutionnelle (cf. Interview du 28 Octobre 2022 sur RFI), et ce sous le regard médusé du corps des Magistrats de l’Ordre judiciaire encore dans la spectative, de même que le Barreau centrafricain, nonobstant des velléités d’action solidaire au bénéfice de du Président congédié de la Haute Cour (retrait provisoire des représentants des Avocats)…
Impact juridique de la décision de retrait forcé des deux Juges constitutionnels
Par-delà l’argument de « fin normale d’activité professionnelle » tapageusement prévalue par l’Exécutif et ses soutiens politiques, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la République tout entière encourt depuis le 25 Octobre 2002, date de mise à l’écart du Président Danièle Darlan l’impasse juridique, vu le risque avéré de paralysie de la Cour constitutionnelle : Faute pour les Enseignants d’université de pourvoir au remplacement effectif de leur représentant au sein de l’institution, au cas où les Magistrats de l’Ordre judiciaire refuseraient de remplacer Trinité Bango Sangafio et que le Barreau en venait à retirer ses Délégués, ce serait non seulement le projet de réforme constitutionnelle (Référendum) prôné par le Pouvoir qui serait bloqué, mais l’ensemble du mécanisme du contrôle de la constitutionnalité des textes qui serait mis à mal au sein toute la République, faute d’organe compétent !
Mais avant cela, le constat sur le terrain est plus qu’amer, les Décrets du 25 Octobre 2022 par eux-mêmes auront eu effet de remettre en cause l’ordonnancement juridique national. Pour cause :
Le pouvoir administratif a été instrumentalisé du fait de l’application discriminée de la loi : La question se pose de savoir pourquoi l’Exécutif a attendu le prononcé du verdict constitutionnel du 23 Septembre 2022 pour se résoudre à prendre en main le dossier de la fin de la carrière des Enseignants d’université ; pourquoi le Juge constitutionnel Trinité Bango Sangafio, comme Magistrat, ne fut pas, comme ses pairs concernés, mis à la retraite par le truchement du Décret présidentiel de fin Septembre 2022 ayant porté mouvement d’affectation et de mise à la retraite des Magistrats du Corps judiciaire ; pourquoi surtout le Professeur d’université Jean-Pierre Waboé, vraisemblablement frappé par l’âge de retraite comme sa compaire Danièle Darlan, n’a pas été visé par les Décrets assassins du 25 Octobre 2022, mais a été plutôt épargné comme par enchantement, pour finalement recevoir « par carence » passation de la fonction de Président de la Cour par les soins de l’Inspection Générale d’État (IGE), après éjection consommée de son éminente et célèbre Collège ;
Les articles 38 et 102 de la Loi 09.14 sur le statut général de la Fonction publique sont violés au su et vu de tous : Nonobstant les dispositions pertinentes et péremptoires de l’article 38 qui compte les « Président et Vice-président de la Cour constitutionnelle » parmi les « hauts dirigeants » de l’État et celles de l’article 122 interdisant tout maintien en activité de fonctionnaires admis à la retraite « à l’exception des hauts dirigeants et des titulaires des mandats électifs », le Professeur Danièle Darlan a été « virée » ;
Le concept de « mandat électif » est objet d’interprétation tendancieuse : En régime démocratique dit « présidentiel », prépondérance et primauté légales ne sont données qu’au statut électif dont bénéficie le Président de la République, étant le seul à être élu au « suffrage universel » contrairement aux autres élus issus de suffrages catégoriels de la part rien que de « fractions du Peuple souverain », telles les circonscriptions législatives pour « les Députés de la Nation », les corps spécifiques d’appartenance en ce qui concerne « les corps et organismes constitués de l’État », telle la Cour constitutionnelle ; sauf à se rendre coupable de « destitution illicite », le Chef de l’État n’est en aucun cas admis à écourter PROPIO MOTU (par motif discrétionnaire ou unilatéralement) un quelconque mandat électif au sein de la République ;
Le sacro-saint principe du parallélisme des formes en Droit a été brisé : À admettre par impossible que le corps des Enseignants d’université et celui des Magistrats judiciaires soient respectivement admis à procéder au remplacement de leurs représentants respectifs au sein de la Cour constitutionnelle au motif établi de retraite, le Décret présidentiel de retrait et remplacement devraient plutôt SUIVRE LA DÉCISION DE REMPLACEMENT INTERVENUE EN ASSEMBLÉES GÉNÉRALES DES CORPS D’APPARTENANCE CONCERNÉS et non la précéder ni encore l’enjoindre comme entrepris à l’encontre des Professeurs de Droit de l’Université de Bangui à l’encontre du Professeur Danièle Darlan ;
La démocratie représentative comme garantie juridique au service du bon fonctionnement des institutions républicaines a été remise en cause : Une fois élus, les représentants des corps constitués continuent certes à relever d’office de leurs corps d’appartenance mais EN AUCUN CAS NE SIÈGENT EN LEURS NOMS AU SEIN DES INSTITUTIONS BÉNÉFICIAIRES DES MANDATS ÉLECTIFS REÇUS, MAIS PLUTÔT AU NOM DU PEUPLE SOUVERAIN partiellement incarné par chacun des corps d’appartenance mandants, globalement incarné par l’ensemble desdits corps, d’où les délibérations sont entreprises sous le sceau du secret inviolable, et les décisions adoptées vidées et rendues « AU NOM DU PEUPLE CENTRAFRICAIN », et non des entités d’appartenance ; d’où le caractère totalement contre-productif et fallacieux du raisonnement juridique spécieux suivant lequel les bénéficiaires de mandats électifs au seins d’institutions étatiques continueraient de relever des corps d’appartenance, une telle logique étant contraire non seulement au bon sens mais à toute jurisprudence en la matière, sachant que suivant une telle appréhension les corps d’appartenance des titulaires de mandats électifs seraient autorisés à les suspendre – comme voudrait d’ailleurs le faire en la circonstance le Corps des Avocats concernant les Avocats Juges constitutionnels élus par le Barreau -, retirer ou alors remplacer en cours de mandat : A ma connaissance, même le Conseil National de Transition (CNT) dut à l’époque rejeter mais fermement l’offre de la part des Chefs traditionnels du Mbomou quant au retrait et remplacement de leur représentant Jean Paul Moussa Veketo au motif allégué de « trahison », le Sultan de Bangassou Takama Mbrenga lui reprochant de ne lui avoir pas apporté sa voix lors du vote du Chef de l’État de Transition auquel il était candidat;
La morale publique et citoyenne a subi un revers sans précédent : Candidat implicite sinon pusillanime à un « troisième mandat » en soi interdit par non seulement la Constitution du 30 Mars 2016, mais surtout par le double prononcé par devers la Cour constitutionnelle lors des deux (2) cérémonies successives de son intronisation les 30 Mars 2016 puis 2021, la leçon donnée par le Chef de l’État à travers le Décret controversé du 25 Octobre 2022 est un contre-témoignage d’abord à sa propre encontre, du fait de poser la retraite comme UNE EXIGENCE RÉPUBLICAINE INVIOLABLE À TOUT POINT DE VUE : Dans ce cas, pourquoi des Ministres-Conseillers sexagénaires en surnombre à la Présidence de la République, à la Primature, comme Consultants dans les organismes publics, etc. ?
Pourquoi surtout un TROISIÈME MANDAT APRÈS LES DEUX (2) IMPOSÉS PAR LA LOI FONDAMENTALE, au lieu de partir sagement jouir de la retraite présidentielle, plutôt que de prendre le risque éperdu d’engager un baroud de réforme constitutionnelle sans suite probable, de violer la sacro-sainte Règle d’or qui DÉCONSEILLE DE FAIRE À AUTRUI CE QU’ON NE VOUDRAIT PAS SUBIR ?
À bon entendeur, salut !
Maître Timoléon Kokongo
Avocat au Barreau de la RCA
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