La pêche, une activité libérale rentable mais peu pratiquée par des centrafricains. Le journal Oubangui Médias s’est intéressé à la pratique de cette activité et est allé à la rencontre d’un pratiquant.  Deux heures de pêche pour découvrir comment certaines personnes vivent de ce métier.

Il est 5h 10 mn, l’heure à laquelle nous avons monté dans la pirogue d’un pêcheur nommé Paulin Ko-Nzapa, habillé en culotte rouge tee-shirt jeune, connu par son sobriquet « Linpau » qui est le verlan de Paulin. Agé de 42 ans, « Linpau » a passé toute sa vie dans cette activité de pêche peu connue des centrafricains. Le point de départ de cette aventure était non loin de l’hôtel Oubangui en allant vers le quartier Ouango dans le 7e arrondissement de Bangui.

L’aventure est un peu pénible mais riche à la fin. Nous avons fait au moins deux heures et demie dans cette pirogue de plus de 5 mètres de long et 1 mètre de large. Paulin a installé tout au long de la rive Oubangui une dizaine des filets à pêche.

Son pagaie en main, un long bâton de plus de 10 mètres permettant à ce dernier de diriger sa pirogue. Il nous explique comment ces filets arrivent à maintenir les poissons pendant des heures : « Les gros poissons se déplacent habituellement la nuit pour se nourrir donc les pêcheurs expérimentés maitrisent des endroits où l’on peut avoir beaucoup de poisson. Nous plaçons nos filets dans ces endroits et puis, dans leur déplacement, ces poissons tombent dans les filets qui les maintiennent pendant des heures».      

Durant ce voyage de plus de deux heures, Paulin a pu vérifier une dizaine de filets, qu’il a posé dans la nuit de lundi à mardi 12 juillet 2022. Parmi ces dix filets, trois d’entre eux ont été bousillés. Selon Paulin, ce sont les gros poissons qui sont tombés dans ces filets. Puisque leurs forces dépassent la capacité de ces filets, c’est ainsi que ces poissons ont pu s’échapper.

Après plusieurs heures de voyage, nous sommes enfin arrivés au bord de la rive à côté de la pompe de la SODECA. Ici,  trois revendeuses des poissons frais attendent impatiemment Paulin qui préfère vendre ses produits seulement à l’une d’entre elles qui est Nadège. Qui selon « Linpau », c’est elle qui lui a acheté un paquet de cigarette avant son départ, une stratégie pour elle de garantir les produits de cette pêche.  

Mais Nadège était très mécontente du retard qu’a accusé Paulin. « J’ai perdu mes trois filets et je suis bouleversé donc ne m’énervez pas.  Alors, pour ne pas perdre du temps, j’ai besoin de 45.000 Francs CFA pour cette cuvette de poissons », lance Paulin.

Quoi ! A rétorqué Nadège qui a aussitôt ajouté que « tu veux payer la dot de qui ? » Paulin, allume sa quatrième cigarette et ne dit mot. Au final, les deux sont tombés d’accord sur 35.000 FCFA, la cuvette de ces poissons qui sont à majoritaire des carpes ,  tant aimés et prisés par des centrafricains.

Ce jour-là, malgré la perte de trois filets, Paulin n’a pas du tout perdu sa journée. « Je peux avoir 30 à 40.000 FCFA par jour pendant la saison sèche mais c’est la saison pluvieuse qui n’est pas rentable à cause parfois des intempéries », souligne Paulin avec un petit sourire aux lèvres.

Comment Paulin est-il devenu un grand pêcheur de poisson ?

Avec sa cigarette à la bouche et cinq autres emballées dans un petit sachet transparent, tout en souriant, Paulin nous raconte sa vie après avoir conclu son marché avec Nadège : « Je suis né dans une famille des pêcheurs. Mon défunt père est un grand pêcheur à Bangassou dans le Mbomou et il avait 4 femmes à l’époque et a pu faire 9 enfants dont 7 garçons. Déjà à base âge, il nous apprenait à conduire une pirogue et pratiquer la pêche. C’est grâce à cette activité que mon père a pu faire la dot de ses 4 femmes », raconte-t-il.

Paulin a fui les violences dans sa ville natale avant de regagner Bangui. « Lors des événements entre les anti-balaka et les casques bleu marocain en 2017, j’ai perdu mon premier garçon qui a reçu une balle à la poitrine et s’est éteint des suites de sa blessure.  J’ai décidé alors de regagner Bangui malgré les difficiles conditions de vie ici. Je me suis accroché à la pêche qui est ma principale activité. Grâce à la pêche aujourd’hui,  j’ai construit une maison de quatre chambres pour ma petite famille et c’est ça qui me permet de payer les scolarités de mes quatre enfants. Mon second enfant va composer le Brevet des Collèges l’année prochaine», a expliqué Paulin.    

A la question de savoir si Paulin a été lui-aussi à l’école ? Il répond : « Oui, mes parents m’avaient inscrit à l’école à l’âge de 7 ans mais après la mort de mon père, nos tantes et oncles paternels nous ont chassé de la maison familiale et on n’avait pas de soutien. Je suis obligé de tout abandonné. C’est la pêche qui m’a permis de prendre en charge ma petite famille. Mon véritable école a été d’apprendre à pécher et mon activité  principal c’est la pêche », dit-il.

Devenu pêcheur professionnel par les forces des choses, Paulin se souvient des beaux temps où avec ses coéquipiers, ils faisaient Bangassou-Mobaye-Bangui pour vendre des poissons. « A l’époque, on faisait 4 voire jusqu’à 5 cuvettes de poissons. Nous transportons parfois nos produits par la voie fluviale pour revendre à Bangui, on faisait un peu d’argent, c’était le beau temps», se souvient Paulin.

Mais de nos jours, la pèche n’est plus fructueuse pour plusieurs raisons dont les conditions climatiques et le non respect de calendrier des pêches. A cela s’ajoute l’utilisation des produits toxiques dans la pratique de la pêche. Pendant la saison sèche Paulin arrive parfois à remplir deux cuvettes de poissons frais, et vend à ses clients potentiels qui sont des responsables des restaurants et parfois des revendeuses qui ont l’habitude de l’attendre au niveau de la station de pompage de la SODECA, non loin de l’Ambassade de France.

Interrogé sur certaines pratiques occultes permettant d’avoir beaucoup de poissons, Paulin a souligné que cette pratique existe, mais il ne peut pas dévoiler au grand public. C’est un secret pour les pêcheurs et cette pratique se transmet parfois de génération en génération dans la famille des pêcheurs.

Christian Steve Singa