Chers amis praticiens du droit qui entourez pour certains, le Chef de l’Etat ou qui gravitez, pour d’autres, autour de l’osmose politique de ce dernier, c’est à vous, au premier chef, que je m’adresse à travers cette plume, ensuite, à tous les propédeutes du droit, enfin au commun des mortels qui n’a que faire de nos incartades de tous les jours. Le style m’importe peu, car c’est dans les démonstrations que je voudrai bien m’étaler. Il se murmure qu’il existerait un plan B, celui de la défiance et de la rébellion que certains susurraient aux oreilles du Chef de l’Etat afin de justifier ces pièces sonnantes et trébuchantes qu’ils ont prises au « Roi Soleil ». Tenez-vous tranquilles, car « l’accoucheuse trop pressée, risque de ne pas se saisir de ce qui n’est pas la tête du bébé ».

Dans le respect de la Constitution et dans les conditions actuelles, il n’y a pas de plan B qui tienne à moins que ce soit un plan à la « Kabila ». Et invoquer la théorie des « actes du Gouvernement » pour se soustraire à la décision de la Cour constitutionnelle est un parjure (I) lequel rend quasi impossibles les compétences du Chef de l’Etat dans la convocation d’un référendum constitutionnel (II). Plus vous persisterez et insisterez, plus vous finirez par exposer votre champion à une procédure de destitution qui est possible (III). La seule alternative qui sied, est celle qui veut que les prochaines présidentielle et législatives comme ici et maintenant au travers des primaires (IV).

Actes réglementaires entre inconstitutionnalité et illégalité…

D’entrée de jeu, la Constitution du 30 mars 2016 reconnaît dans la pratique du pouvoir que certains actes sont dits règlementaires, ils sont dévolus aux pouvoirs publics autres que le législateur (A). Cette pratique tire son origine du droit positif français qui s’est beaucoup enrichi au cours de l’histoire (B).

Actes règlementaires et actes législatifs dans la Constitution du 30 mars 2016

Le législateur centrafricain fait bien le distinguo entre un acte règlementaire et un acte législatif. Les règlements sont prévus à l’article 81 tandis que les actes législatifs sont prévus à l’article 80 de la même Constitution. En effet, un acte règlementaire est un acte juridique unilatéralement pris par une autorité administrative portant sur l’ordonnancement juridique et affectant les droits des tiers sans leur consentement. Quelques précisions méritent d’être apportées. 1) L’acte doit être motivé, 2) Il requiert soit l’avis préalable d’une autre autorité soit le contreseing (Art 49 de la Constitution). En ce qui concerne les décrets présidentiels, ils sont pris en Conseil de Ministres et doivent revêtir le contreseing du ou des Ministres concernés sinon ils seront nuls et de nul effet.

Comme en droit français, les actes administratifs autrement appelés actes règlementaires ne peuvent être portés que devant des juridictions administratives à savoir le Tribunal Administratif (TA) pour les arrêtés (Arrêtés du Premier Ministre, des Ministres, du Maire, du préfet ou bien du recteur etc.) et le Conseil d’Etat (CE) pour les décrets présidentiels. Dans ce cas, il s’agira du contrôle de la légalité. Sans mésestimer ce dispositif, le législateur centrafricain a prévu un autre mécanisme de contrôle, celui de la constitutionnalité qu’on retrouve à l’article 95 de la Constitution. Non seulement la Cour Constitutionnelle juge de la constitutionnalité des lois mais aussi des règlements et a fortiori, lorsque cela a trait au référendum ou bien à la révision constitutionnelle. En principe, la contrariété constitutionnelle emporte la contrariété légale. Autrement dit, tout acte jugé inconstitutionnel, est d’office illégal. Les recours portés devant la Cour Constitutionnelle étaient bien des recours en inconstitutionnalité auxquels les décrets du Président ne sauraient échapper, même si on voudrait les appeler « Actes du Gouvernement ».

Les actes réglementaires dits « actes du Gouvernement » selon la doctrine française…

L’option n’est pas politique ici puisque le droit positif centrafricain, à l’instar d’autres, est d’obédience, française.

Ainsi, en droit français, la notion d’actes administratifs regroupe l’ensemble des règles de droit qui se rapportent à la situation des sujets de droit en créant des droits et obligations nouvelles. Toutefois, il est bien de préciser que tous les actes de l’administration ne sont pas forcément administratifs, il y a quelques-uns qui ne modifient pas l’ordonnancement juridique en vigueur. Dans cette logique, le droit français admet l’existence de deux catégories d’actes administratifs. Les uns sont des actes réglementaires, de portée générale et impersonnelle. Les autres sont des décisions individuelles qui nécessitent une notification.

Par-ailleurs, dans la catégorie des actes réglementaires, certains sont appelés « Actes du Gouvernement » en raison de leur nature particulière qui fait qu’ils « devraient » échapper à tout contrôle juridictionnel. Ils ont un mobile politique et sont justifiés par la raison d’Etat. Mais là encore, il y a des balises qui sont prévues. La doctrine insiste sur le fait que l’autorité compétente qui doit prendre un « acte du Gouvernement » puisse recueillir préalablement l’avis d’autres autorités sous peine d’illégalité. La Constitution du 30 mars 2016 souscrit à ce postulat. Dans son article 41, elle dispose que « Le Président de la République peut soumettre au référendum, après avis du Conseil des Ministres, du Bureau de l’Assemblée Nationale, du Bureau du Sénat et du Président de la Cour Constitutionnelle, tout projet de loi, ou avant sa promulgation, toute loi déjà votée par le Parlement ». Les dispositions de l’article 95 sont encore plus explicites puisqu’elles exigent cette fois-ci, non pas l’avis de son Président mais aussi l’avis de toute la Cour Constitutionnelle en matière référendaire. Il faudra bien qu’un pouvoir en limite un autre dans l’esprit de Montesquieu et les actes du Gouvernement ne concurrencent pas la Constitution dans la Hiérarchie des normes.

L’impossibilité d’un référendum à la seule initiative du Président de la République

La pratique du référendum n’est pas une nouveauté en droit. En 1969, le Général De Gaulle a recouru aux dispositions de l’article 11 de la Constitution de 1958 pour tenter de juguler les crises de 1968 via des réformes constitutionnelles. Le « Non » a fini par l’emporter sur le « Oui » et le colosse français a dû tirer sa révérence politique. Dans le cas centrafricain, et dans les conditions actuelles, le Président Touadéra n’a ni les arguments juridiques (A) ni les arguments politiques (B) pour recourir au référendum constitutionnel.

Les verrous constitutionnels au référendum

La Constitution est la Bible d’un Etat. Seuls les exégètes peuvent en faire une bonne lecture et une bonne interprétation. Et de la lecture et de l’interprétation de la Constitution du 30 mars 2016, il existe deux types de verrous constitutionnels insurmontables pour le Président Touadéra à l’heure actuelle.

Premièrement, aux termes des articles 41, 90 et 95 de cette Constitution, le référendum n’est possible que lorsque le Président de la République aura préalablement recueilli les avis du Conseil des Ministres, du Bureau de l’Assemblée nationale, du Bureau du Sénat, du Président et de toute la Cour Constitutionnelle (article 95). Ces avis sont cumulatifs, c’est-à-dire que le Président ne peut se passer de quelques-uns pour se contenter de quelques autres. Et tous ces avis doivent être favorables. Or, en l’espèce, on connait déjà l’avis de la Cour Constitutionnelle sur la question. De plus, l’absence su Sénat fait que le Président ne saurait se prélasser dans les avis du Conseil de Ministre et du Parlement pour déclencher la procédure, ce sera le parjure.

Deuxièmement, le référendum n’est possible qu’en matière de révision constitutionnelle et le Président ne saurait passer outre (Articles 151, 152, 153). Or, le projet du pouvoir et de ses caciques est de vouloir doter la République Centrafricaine d’une nouvelle Constitution, ce qui n’est pas prévu. Et même dans la révision, le mandat du président, la forme de l’Etat et les critères d’éligibilité sont intangibles. Et lorsqu’il n’y a pas d’arguments juridiques qui tiennent, la politique vadrouille.

Les obstacles politiques

Les obstacles politiques sont la résultante de la seule et propre turpitude du pouvoir. Or, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Plus de six ans au pouvoir, le Président et ses conseillers juridiques ne se sont pas donné la peine de lire mais surtout de bien lire la Constitution pour en découvrir les méandres. Aujourd’hui, ils se buttent à la triste réalité. Il ne coûtait pas grand-chose pour faire voter et promulguer la loi référendaire et d’organiser les élections municipales puis sénatoriales devant conduire à la mise en place du Sénat. Ils se sont contentés des dispositions des articles 155 et 156 pour penser que l’Assemblée nationale pouvait jouir de toutes les compétences du Sénat. Or, les seules compétences qu’elle peut usurper, ce sont les compétences législatives et uniquement celles-ci.

Ensuite, de l’analyse des évènements politiques de ces derniers temps, il s’ensuit que le Président a perdu non seulement en légitimité et mais également en crédibilité. Et la Cour Constitutionnelle était obligée de lui rappeler non seulement son propre serment mais surtout ses compétences constitutionnelles en tant garant des institutions. Le 04 décembre 2020, la candidature de François Bozizé avait été invalidée par la Cour Constitutionnelle et celui-ci est entré en rébellion contre les Institutions. Ce qui a été condamné par tous. Aujourd’hui, le Président Touadéra est débouté par la Cour Constitutionnelle, il doit faire preuve d’élégance politique pour se soumettre à ces décisions. C’est cette même Cour Constitutionnelle qui a validé par deux fois, son élection.

Enfin, même si sous l’effet de l’entêtement politique et de mauvais conseils, le Président se donne d’organiser un Coup d’Etat Constitutionnel via un illégitime et illégal référendum, il aura encore besoin de la Cour Constitutionnelle qui est autorisée à en valider ou invalider les résultats (Article 95 de la Constitution). Le pari n’est toujours pas gagné pour le Président de la République qui, par cet acte, placera le pays dans un capharnaüm institutionnel sans précédents. Et par là, il s’expose à une procédure de destitution dont les conditions sont mêmes réunies.

Les possibilités de destitution du Chef de l’Etat

La Présidence de la République est l’institution la plus protégée de la République mais le Président de la République n’est pas au-dessus de la loi tel que la Cour Constitutionnelle l’a rappelé dans son dernier avis. Aux termes des dispositions de l’article 23 de la Constitution : « Toute personne habitant le territoire national a le devoir de respecter en toutes circonstances, la Constitution, les lois et règlements de la République ». Autrement dit, quelles que soient les circonstances, le Président ne saurait poser des actes de contrariété à la Constitution. S’il le fait, il peut s’exposer à une procédure de destitution (A) ou bien carrément à une mise en accusation (B).

La procédure de destitution

C’est la procédure la plus simple et dont le maître de jeu reste la Présidente de la Cour Constitutionnelle aux termes des dispositions de l’article 47 de la Constitution qui aborde la question de la vacance du pouvoir. En son alinéa deuxième, ledit article dispose que « Tout cas d’empêchement définitif ou de maladie qui place le Président de la République dans l’impossibilité absolue d’exercer ses fonctions, doit être constaté par un Comité Spécial présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle et comprenant le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat et le Premier Ministre Chef du Gouvernement ».

En l’espèce, la mise en place du Comité Spécial n’a aucun lien avec une situation de maladie qu’on aurait invoquée. Elle tient juste à la question de la violation de la Constitution par le Chef de l’Etat. Selon les dispositions de l’article 38, le Président a prêté serment en Français et en Sango, devant Dieu et devant le Peuple de respecter scrupuleusement la Constitution. Ne pas respecter la décision de la Cour Constitutionnelle, revient à ne pas respecter la Constitution. C’est la preuve flagrante de la violation de son propre serment qui est punissable au titre des dispositions de l’article 124 de la Constitution.

De plus, le Président n’a pas qualité à interpréter la Constitution selon les dispositions des articles 90, 93, 96 et 97 de la Constitution. Il doit s’en référer à la Cour Constitutionnelle. Arguer que selon la Constitution du 30, aucune Institution ne peut s’opposer à la volonté populaire, voudrait dire que le Président de la République s’arroge les compétences de la Cour Constitutionnelle ne matière d’interprétation des lois constitutionnelles. Et non seulement, il s’arroge des compétences qui ne sont pas les siennes, il détourne également le pouvoir et finalement, il constitue un acte de rébellion. Ce qui l’expose aux dispositions des articles 26 et 28 de la Constitution. Dans le premier article, la Constitution dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce soit par voie référendaire soit par l’intermédiaire de ses représentants. Aucune fraction du peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ni l’aliéner ». La Constitution évoque bien la question de la souveraineté nationale qui est bien différente de la souveraineté populaire. Les étudiants en 1ere année de droit sont à mêmes de faire la différence. L’approche de Jean Jacques Rousseau est bien différente de celle de John Locke.

Pour terminer, l’article 28 de la Constitution dispose que « L’usurpation de la Souveraineté par Coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou tout autre procédé non démocratique, constitue un crime non prescriptible contre le peuple Centrafricain. Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes, aura déclaré la guerre au peuple Centrafricain ». Celui qui déclare la guerre au peuple, n’en est plus digne de confiance. Et comme l’autre conseillé a parlé de la possibilité d’un Coup d’Etat constitutionnel en vue, et que « Gouverner, c’est prévoir », il est temps, et dans l’intérêt de la consolidation des Institutions de couper les ailes à des petits « Néron » qui s’excitent dans les entrailles de certains de nos compatriotes. Louis XIV a beau affirmé que « L’Etat, c’est moi », cela n’a pas fait de lui, un démiurge.

La mise en accusation devant la Haute Cour de justice

Le fait que la Haute Cour de Justice soit une juridiction Ad hoc, rend un peu complexe son mécanisme de fonctionnement. Mais il n’est pas impossible d’y arriver aux termes des articles 123 et 124 de la Constitution. Certains des griefs qui peuvent être opposés au Chef de l’Etat, ont été énumérés dans la partie sur la destitution. Les conditions de possibilité de la Haute Cour de Justice sont à rechercher d’abord, du côté du Parlement et ensuite, du côté du Procureur Général. La Constitution requiert 50% des députés pour que la traduction du Chef de l’Etat devant la Haute Cour de Justice soit possible et il faut l’avis des 2/3 du parlement (Assemblée Nationale et Sénat) pour la validation de la mise en accusation. La procédure va être un peu longue, compte tenu de la lourdeur qui caractérise l’administration centrafricaine et surtout lorsque c’est la personne du Chef de l’Etat qui est mise en cause.

La seule solution possible pour le Président

S’il tient à la survie de son parti, le Président doit se préparer un dauphin pas comme à la Ouattara en vue de la prochaine présidentielle. Et au sein du parti au pouvoir, il y a beaucoup de prétendants qui pourraient se déclarer. Ou bien, il joue à la Poutine. Dans tous les cas, le pari du dauphin ou bien de la stratégie de Poutine comportent des risques. Mais tenter, rater n’est pas blâmable selon une expression chère aux policiers. C’est maintenant qu’il faut organiser les primaires dans tous les Etats généraux des partis politiques et penser à discuter de vrais enjeux de gouvernance dans ce pays.

Odilon Maurice OUAKPO

Doctorant en Droit Public Economique à l’UCAC (Yaoundé)

Master Droit Public des Secteurs Stratégiques et des Affaires (Ain-Shams/Caire)

Master Relations Internationales et Diplomatie (Jean Moulin/Lyon III)