Depuis presque six ans, de nombreux déplacés vivent encore dans la précarité sur les quatre sites des déplacés et dans les familles d’accueil. En dépit d’interventions humanitaires, ces personnes vulnérables continuent d’aligner des besoins multiformes.

Ils sont environs 15.000 personnes vivant sur les sites et dans les familles d’accueil à Alindao. Depuis presque six ans, l’insécurité a basculé la vie de ces nombreuses personnes. Elles ont pour la plupart perdu tous leurs moyens de subsistance. Certains cherchent à se relever mais difficilement à cause de la précarité de la vie et la volatilité de la situation sécuritaire.

Oubangui Médias, lors d’une mission à Alindao facilitée par la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) a parcouru les quatre sites déplacés ainsi que certains quartiers et villages de retour. Le constat est presque identique. Sur le site des déplacés, ces personnes sont confrontées aux problèmes d’accès permanent à l’eau potable, aux bonnes toilettes et éprouvent un besoin pressant de facilitation de leur retour afin de reprendre leurs activités. Dans les villages de retour, on observe un manque d’infrastructures de base comme les points d’eau, les écoles et les hôpitaux.

Un aperçu des besoins sur les sites et intentions de retour

Rengamba Nicaise, coordonnateur général des quatre sites des déplacés d’Alindao présente un aperçu des sites. « Avant la fin d’année, nous n’avions pas eu trop de problème. Depuis le début d’année 2023, nous sommes abandonnés à nous-même. Les nombreuses ONG sont soit en congé soit manquent de financement. Il y a aucune assistance depuis le début de l’année. L’eau, l’hygiène et l’assainissement constituent un grand problème ici. Les latrines sont pleine sur le site de l’église catholique et l’église ne nous autorise pas à faire par ménage une latrine et les gens déflaquent dans la forêt », a-t-il souligné.

Sur le plan alimentaire, Rengamba Nicaise salue l’appui du PAM et de Coopi et souligne que les déplacés du site de l’église catholique ont quelques champs dans les périphéries et c’est ce qui les aide. Mais le retour est encore conditionné « Il y a des déplacés qui sont rentrés, au moins 8 milles. Ceux que vous voyez actuellement viennent en majorité des axes mais aussi de la ville. Leurs maisons ont été pillées, soit brulées et cela pose un grand problème de retour, surtout qu’il n’y a pas d’infrastructure dans leurs zones respectives. La sécurité est à 50% depuis le déploiement des forces nationales. Mais c’est encore imprévisible et la peur est encore là. Certains étaient rentrés avant de revenir sur les sites en 2021 à cause des attaques des rebelles de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC)», a-t-il ajouté.

De son côté, Alain Joël Zoundeko, délégué du bloc Bethleem toujours sur le site de l’église catholique, soutient le problème de latrine et d’accès à l’eau potable tout en soulignant l’intention de retour. « Nous recevons des vivres, des coupons mais cela ne suffit pas. Les enfants vont à l’école mais ils manquent des kits. Nous avons un hôpital qui s’occupe de nous et des femmes enceintes. Nous sommes prêts à rentrer si le gouvernement nous aide à reconstruire nos maisons », a lancé ce responsable sur le site de l’Eglise catholique.

Oussio Irène, cheffe de bloc Jérusalem a passé presque six ans sur le site de l’église catholique. « Nous recevons les appuis des humanitaires pour la santé, l’éducation des enfants mais, le grand problème se situe au niveau des latrines et de douches. Nous voulons rentrer donc, nous sollicitons l’appui du gouvernement et des ONG pour faciliter ce retour », dit Irène.

Sur le site de PK3, occupé par les déplacés peuls, cet endroit tend à devenir quasiment un village ou un quartier d’Alindao. Là vivent plus de 1.000 déplacés. Idriss Hamassani, délégué de ce site fait observer une stabilité dans la zone. «Nos problèmes commencent à être réduits. La sécurité revient, merci aux autorités et à la Minusca. Notre inquiétude c’est juste le problème d’eau potable, de latrine et le manque d’un poste de santé. Avant de venir ici, nous avions des bœufs et cheptels. Mais les hommes armés ont tous pillé. Nous avons besoin de reprendre nos activités d’élevage, c’est pourquoi nous demandons au gouvernement et aux humanitaires de nous aider dans ce sens », a présenté Idriss.

Ali Mahamat du site AFAPS à Alindao centre, là où vivent au moins 181 ménages soit 708 personnes, venues pour la plupart à Nzacko dans la préfecture du Mbomou depuis 2017, note que l’urgence humanitaire a été maitrisée grâce aux multiples assistances. Mais, il énumère néanmoins quelques problèmes qui persistent. « La libre circulation pose problème car, nombreux n’ont pas la carte nationale d’identité. Aussi, nous n’avons pas le droit de couper des bois de chauffe, les autochtones menacent toujours nos femmes et nos enfants. Donc, la question des terres c’est un véritable défi. Sur le site, un seul forage ne suffit pas. Il y a des nouveaux qui nous ont rejoints mais leurs noms n’ont pas été encore validés depuis presque un an. Nous voulons la sécurité partout pour reprendre nos activités. Nous voulons retourner dans nos villes respectives », note ce dernier.

Matou Léa, ancienne déplacée du site ELIM est rentrée dans son village à pk4 au village Voundja-Djogo. Elle est rentrée il y a un an à cause de la précarité de vie sur le site des déplacés. Après un calme précaire dans la zone, au bénéfice du déploiement des forces de défense et de sécurité et des patrouilles régulières des forces de la Minusca, Léa a repris ses activités champêtres. Mais, son village manque d’infrastructures de base. L’eau potable en première position, les kits de cuisine, les dortoirs ainsi que les moustiquaires imprégnées afin de protéger les enfants des piqures des moustiques. Elle lance un appel pour que soit installées des infrastructures de base dans son village.

Dans la ville d’Alindao, la gratuité des soins est un acquis grâce aux partenaires. L’hôpital d’Alindao est un exemplaire de prise en charge gratuite. Deux ONGs assurent cette gratuité des soins. Dans cet hôpital, presque tous les services sont là et fonctionnent normalement, sauf le service de la radiographie. Pour le mois de janvier, la maternité a enregistré 81 naissances. Par ailleurs, par manque d’imagerie, au moins 10 cas de fractures ont été transférés à Bambari à plus de 100 km. C’est la radiographie qui manque pour que cet hôpital de référence humanitaire soit au complet. Mais, la catastrophe sera le manque d’appui ou le retrait de ces partenaires humanitaires.

Les acteurs humanitaires toujours mobilisés !

Le chef du bureau adjoint d’OCHA à Bangui, soutient que le plus important pour les acteurs humanitaires, c’est de continuer à mobiliser les ressources pour assister les personnes vulnérables. L’un des grands défis à Alindao c’est l’accès à la nourriture et cela entraine l’insécurité alimentaire mais également l’accès à l’eau. « A travers des partenaires locaux et internationaux, nous allons continuer à mobiliser les ressources pour mettre en œuvre les activités. Nous travaillons aussi pour collecter les intentions de retour. Nous devons nous rassurer sur les lieux de retour afin qu’ils se sentent surtout en sécurité.  Mais globalement, le défi des acteurs humanitaires c’est l’insécurité qui affecte de la même manière la population », a souligné Tobias Schuldt.

En effet, en RCA, les civils, principalement des femmes et des filles, continuent de faire les frais d’une crise complexe persistante. Des dynamiques du conflit en 2022 ont exacerbé la protection des civils qui était déjà fragile. Les conflits et les graves violations des droits humains et du droit international humanitaire qui s’en ont suivi ont contraint plus d’un centrafricain sur cinq à se déplacer à l’intérieur du pays ou à trouver refuge dans les pays voisins.

Au total 3 millions de personnes, soit la moitié de la population centrafricaine souffre d’insécurité alimentaire aiguë. La malnutrition aiguë est l’une des principales causes de morbidité et de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans, dans un contexte où six centrafricains sur 10 n’ont pas accès à l’eau potable.

Cette année, plus de la moitié de la population centrafricaine, soit 3,4 millions de personnes, a besoin d’assistance humanitaire et de protection, un chiffre bien au-delà des estimations des besoins établies depuis 2018. Parmi elles, 2 millions de personnes ont des besoins d´une extrême sévérité au point que leur bien-être physique et mental est menacé. Pour faire face à des besoins en hausse dans tous les secteurs, 466 millions de $ américains sont requis pour financer le Plan de réponse humanitaire 2023.

Il faut rappeler qu’en 2022, grâce à la générosité des bailleurs des fonds qui ont contribué à hauteur de 418 millions de $ américains et l’adaptation constate des intervenants face à un environnement opérationnel difficile, la communauté humanitaire a fourni une assistance multisectorielle vitale à 1,9 million de centrafricains les plus vulnérables, dans le cadre du Plan de réponse humanitaire.

Alindao reste après Bria l’une des villes qui présentent beaucoup de besoin humanitaire cette année 2023. Les défis de l’année c’est la mobilisation des ressources en dépit du contexte mondial ayant entrainé la hausse du prix de carburant, la dégradation des routes et l’insécurité qui affecte les acteurs humanitaires au même titre que la population.

Fridolin Ngoulou