Dans le cadre de la Campagne d’information et de plaidoyer sur la mise en œuvre de la Stratégie nationale de démilitarisation des établissements pénitentiaires en République centrafricaine, le Ministre d’Etat en charge de la Justice, des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux Dr. Arnaud Djoubaye Abazène s’est livré à la presse pour faire le bilan et les efforts encore en cours dans la cadre de la réforme pénitentiaire engagée depuis 2019.

En janvier 2019, le Gouvernement Centrafricain à travers le Premier Ministre a adopté la Stratégie Nationale de Démilitarisation des Etablissements Pénitentiaires en RCA dont la première phase devrait s’étaler de 2019 à 2024. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur le contenu de cette réforme pénitentiaire ?

Avant toute chose, permettez-moi de vous remercier de l’intérêt que vous accordez de manière générale au Département ministériel dont j’ai la charge et spécifiquement à la mise en œuvre de la réforme pénitentiaire engagée en 2019 par le Premier Ministre chef du Gouvernement, sous la très haute impulsion du Pr Faustin Archange Touadéra, président de la République, chef de l’Etat. Il me plait de le rappeler, la réforme pénitentiaire qui a été initiée en 2019 dans notre pays continue son bonhomme de chemin, sous ma modeste responsabilité et le concours de mes collaborateurs, acteurs déterminés du système de Justice pénale.

En effet, après la série de crises politico-militaires que notre pays a connues et qui ont paralysé les institutions étatiques et les services administratifs, compromettant ainsi durablement et profondément les capacités de l’Etat d’accomplir comme par le passé ses missions régaliennes, le Gouvernement avait décidé en 2018 d’entreprendre avec l’appui des partenaires, la modernisation du secteur de la Justice y compris le sous-secteur pénitentiaire. C’est dans cette optique que la Stratégie Nationale de démilitarisation des établissements pénitentiaires en RCA voit le jour en 2019, grâce à l’appui de la MINUSCA et de Penal Reform International. Celle-ci se décline en cinq axes ainsi qu’il suit : La sécurité et l’humanisation de la détention ; la sécurité et la sûreté des établissements pénitentiaires ; la sécurité de l’environnement carcéral et la professionnalisation de l’administration pénitentiaire ; la sécurité des établissements pénitentiaires et la sécurité juridique des détenus ; la sécurité publique et la politique de réinsertion sociale des condamnés.

Je voudrais rappeler que la réforme pénitentiaire fait partie intégrante de la Politique Sectorielle de la Justice, adoptée en 2020 par le Gouvernement, qui elle-même émane du cadre de référence du Gouvernement et de ses partenaires, désigné Cadre National de Relèvement et de Consolidation de la Paix en RCA (RCPCA) dont l’objectif spécifique est de soutenir la paix, la sécurité et la réconciliation nationale en Centrafrique. 

Quels bilans faites-vous en votre qualité d’acteur et de bénéficiaire de cette réforme pénitentiaire dont la première phase est en cours d’achèvement ?

Le bilan de la réforme pénitentiaire dont la première phase est en cours d’achèvement dans notre pays est globalement encourageant. Vous pouvez pour vous en convaincre, analyser quelques indicateurs observables secteur par secteur, que je me réjouis de mettre à votre disposition.

Au plan infrastructurel, le parc pénitentiaire du pays s’est vu dotée de quelques établissements pénitentiaires modernes suite aux travaux de construction et de rénovation réalisés respectivement dans les maisons centrales de Ngaragba, et de Bambari, et dans les maisons d’arrêt et de correction de Kaga Bandoro et de Sibut, pour ne citer que ces exemples. Ces investissements ont permis d’augmenter la capacité globale d’accueil du parc pénitentiaire national qui héberge à ce jour une population carcérale en constante évolution s’élevant à près de 2600 personnes détenues.

Au plan des ressources humaines, le nombre de fonctionnaires de l’Administration pénitentiaire qui s’élevait en 2019 à une centaine d’agents tous cadres et grades confondus, s’est graduellement accru au cours des quatre dernières années à travers le recrutement, la formation et l’intégration à la Fonction publique en 2024 de 295 personnels de l’Administration pénitentiaire. Avec l’appui de nos partenaires, d’autres recrutements sont envisagés, toute chose qui permettra de répondre à nos besoins, en pourvoyant l’Administration pénitentiaire en personnels de qualité et en quantité suffisante.

Parallèlement, pour la première fois, les personnels pénitentiaires ont été dotés d’uniformes de travail et des accessoires requis et de matériels de travail adéquats Certains personnels pénitentiaires ont effectué des stages d’immersion professionnelle dans des pays frères et amis promouvant de bonnes pratiques pénitentiaires et disposés à partager leurs expériences avec la RCA. Des efforts vont se poursuivre dans ce domaine comme dans bien d’autres

La nomination des personnels pénitentiaires a des postes de responsabilités en mai et juin 2013, conformément à l’organigramme du ministère de la Justice, s’inscrit dans la dynamique de faciliter la mise en œuvre de la réforme pénitentiaire en cours dans notre pays. Toutes les directions placées sous l’autorité du directeur général des services pénitentiaires ont été pourvues en cadres de hauts niveaux. De même, les trois régions pénitentiaires existant ont été pourvues en directeurs régionaux et en personnels compétents et enfin, 15 établissements pénitentiaires sont fonctionnels sur les 35 existants dans le pays

Au plan normatif, des projets de textes sont en cours d’adoption afin de poursuivre la mise aux normes des conditions de détention de toutes les catégories de personnes dans les établissements pénitentiaires (femmes, mineurs et criminels signalés dangereux) ; mais également de permettre l’inclusion de l’Administration pénitentiaire dans la famille des forces de sécurité intérieure, afin de rendre celle-ci plus professionnelle au plan notamment de la maitrise des connaissances et techniques professionnelles et du respect des règles éthiques et déontologiques de la part de ses agents  Car, c’est dans cette optique qu’aux côtés de leurs camarades de la Police nationale, vous avez remarqué la participation des personnels de l’Administration pénitentiaire au défilé militaire et civil le 1er décembre 2023, présidé par le chef de l’Etat, à Bangui, commémorant la naissance de la République centrafricaine

Au plan de l’humanisation des conditions de détention, le gouvernement va poursuivre des efforts pour la protection et la promotion des droits des personnes détenues avec l’appui des partenaires, notamment dans le domaine de l’alimentation, de la santé et du maintien des liens familiaux et sociaux. Nous sommes déterminés à améliorer la qualité et la quantité de la ration pénitentiaire servie à chaque personne détenue afin que celle-ci soit en mesure de couvrir l’essentiel des besoins nutritionnels journaliers pour chaque catégorie de détenus.

De même, nous travaillons à améliorer la prise en charge médicale des personnes détenues dans tous les établissements pénitentiaires. Comme vous le savez, les attentes sont très élevées mais les moyens sont très limités. Quoi qu’il en soit, cette situation de précarité avérée n’entame pas notre détermination à œuvrer méthodiquement, résolument et patiemment, afin d’arrimer le service public pénitentiaire de notre pays aux standards régionaux et internationaux à l’horizon 2030.

Au plan de la préparation à la réinsertion sociale des détenus en vue de lutter contre la récidive criminelle, nous allons poursuivre les actions de formation et d’apprentissage engagées dans ce domaine pertinent dans les établissements pénitentiaires de Bangui et des provinces. Celles-ci vont de la menuiserie-bois à la plomberie-sanitaire, en passant par l’agroforesterie à l’élevage, sans oublier l’alphabétisation en langue française, la saponification et la couture.  Plus d’une centaine de personnes détenues ont bénéficié et continuent de bénéficier desdites formations qui concourent non seulement à l’animation de la vie quotidienne en milieu carcéral, mais davantage à occuper les détenus et à leur apprendre un métier ou une activité génératrice de revenu, qu’ils pourront exercer lorsqu’ils auront regagné leurs communautés d’origine à l’expiration de leurs peines d’emprisonnement.

Quelles sont les difficultés que vos services ont rencontrées pendant la mise en œuvre de la première phase (2019-2024) de cette réforme pénitentiaire en cours en RCA ?

Les difficultés observées lors de la mise en œuvre de la 1ere phase de la réforme pénitentiaire dans notre pays sont de deux ordres. Il y a d’une part la faiblesse des ressources financières mobilisables et d’autre part l’insuffisance quantitative et parfois qualitative de la ressource humaine disponible. Je dois reconnaitre que la Réforme pénitentiaire en cours telle que conçue par les experts et déclinée respectivement dans le plan d’action et le plan opérationnel en vigueur est sans conteste très ambitieuse, et par conséquent onéreuse pour notre pays, qui est en plein reconstruction après une longue et profonde crise militaro-sécuritaire qui a détruit notre tissus économique et qui nous oblige aujourd’hui à faire face à des contraintes budgétaires. Mais malgré cette situation, le gouvernement est déterminé avec l’appui de ses partenaires à poursuivre la réforme jusqu’à son terme, en respectant ses engagements et en prenant en main ses responsabilités dans tous les domaines de la réforme et partout où son intervention est attendue. 

Quelles sont les solutions que vous préconisez pour consolider les acquis de la première phase et pour faciliter la mise en œuvre de la deuxième phase de cette réforme pénitentiaire en RCA qui devrait s’étaler de 2024 à 2028 ?

Bien évidemment, un train de mesures sont nécessaires pour consolider les résultats engrangés lors de la 1ere phase de la réforme et faciliter la mise en œuvre de la 2nd phase. Dans cette mouvance, je pense qu’il nous faudrait avant toute chose organiser la sensibilisation et la remobilisation de tous les acteurs étatiques et non étatiques intervenant ayant ou devant prendre part à la mise en œuvre de la réforme pénitentiaire dans notre pays, afin que chacun s’approprie son rôle, sa place et son importance. La nécessaire concertation des acteurs et l’indispensable mise en commun de nos compétences et moyens pourraient booster la réforme et l’inscrire sous de meilleurs auspices, à court ou à moyen termes Aussi, il est important de mobiliser les ressources financières nécessaires pour soutenir la mise en œuvre de la réforme dans tous les domaines, dans le but de pérenniser les activités en cours et la dynamique qui se développe dans notre système pénitentiaire. Nous devons travailler d’abord à la pérennisation des acquis de la première phase de la réforme pénitentiaire et ensuite nous engager à affronter de nouveaux défis qui se présentent à nous pour conduire à son terme la seconde phase.  

Que répondez-vous à vos compatriotes et aux partenaires qui désirent être fixés sur l’échéance que vous avez fixée pour la fin de la démilitarisation des établissements pénitentiaires en RCA ?

La réforme pénitentiaire est en cours dans notre pays. Notre principal souci est de la conduire à son terme dans le temps le plus raisonnable possible et avec des résultats les meilleurs possibles, pour le bonheur de toute la communauté pénitentiaire et la satisfaction des acteurs du système de Justice pénale. Comme je l’avais déjà relevé plutôt, la réforme est très ambitieuse et onéreuse… Mais, sans conteste salvatrice pour notre pays. C’est peut-être la voie la plus sure à prendre pour moderniser le système pénitentiaire de notre pays. Nous nous y attèlerons… coute que vaille… Qu’importe le temps que cette réforme nous prendra et ce qu’elle nous coutera.

Edwige Sedo