Après avoir observé un long moment de silence, l’opposant Jean Serge Bokassa sort de son silence. Cet opposant au pouvoir, ancien allié du président Touadera, ancien candidat aux élections présidentielles de 2016 et de 2020 même s’il avait retiré sa candidature, s’est livré à Oubangui Médias sur les derniers sujets d’actualité du pays, en toile de fonds le projet de modification, les menaces qui pèsent contre certaines personnalités politiques et la résurgence de l’insécurité à l’intérieur du pays. Sans langue de bois, il interpelle les initiateurs de la modification de la Constitution à faire marche arrière afin d’éviter le chaos dans le pays.

Oubangui Médias : Monsieur Jean Serge Bokassa bonjour. Vous êtes coordonnateur général du Mouvement Kodro Ti Mo Kozo Si (KMKS), autrement dit Ton pays avant tout. Quelle lecture faite-vous de la situation actuelle du pays ?

Jean Serge Bokassa : Bonjour. Je tiens à vous remercier pour cette occasion qui nous permet de nous exprimer sur cette situation calamiteuse, catastrophique de notre pays. Aujourd’hui, en voyant la situation dans laquelle nous sommes, nous sommes tout simplement très inquiets par les multiples rebondissements qu’il y a ces derniers temps.

Des rebondissements qui nous montre très clairement des velléités exprimés par le régime en place à vouloir essentiellement confisquer le pouvoir de l’Etat et en filigrane de ce comportement très irresponsable, en filigrane de cette mal gouvernance qui ne peut qu’avoir des conséquences. Vous avez l’environnement sécuritaire qui se détériore de plus en plus à très grande vitesse. Nous ne pouvons qu’être inquiets et nous voulons profiter de cette occasion pour exprimer notre inquiétude mais également interpeller la conscience des décideurs politiques sur le rôle qui est le leur, celui justement de prendre les décisions en allant dans le sens du rétablissement de la paix, de la réconciliation du centrafricain avec lui-même, avec son histoire, des décisions allant dans le sens de la sauvegarde, de la préservation de la concorde nationale. Et, j’ai le sentiment que nous sommes à l’antipode de ces décisions. L’inquiétude en ce moment-là est permise.

Au plan politique, la situation est extrêmement délétère, la réconciliation s’éloigne un peu plus de chacun d’entre nous. J’en veux pour preuve, les discours chargés de haine, tenus par ceux qui se réclament de la mouvance présidentielle, sans qu’ils ne soient inquiéter d’une quelconque façon. Vous voyez c’est extrêmement grave.

Nous vivons dans un pays où il ne se passe pas un jour sans que les membres de la communauté internationale ne soient injurier, sans que les propos attentatoires à la vie des uns et des autres ne soient prononcer, sans que certaines personnalités politiques ne soient injurier et menacer de mort. Et tout ceci passe sous silence. Nous sommes en train de sombrer dans une forme d’anarchie mais je pense que nous faisons face à une dictature qui s’affirme de plus en plus.

Oubangui Médias : Dans nos provinces il y a la résurgence d’insécurité. Quelle est votre réaction ?

Sean Serge Bokassa : Nous condamnons fermement tous les actes de violences dans notre pays. Nous ne sommes plus en sécurité ni auprès de ceux qui ont la responsabilité de garantir la sécurité du peuple centrafricain, à savoir l’Etat du fait que des milices sont entretenues par le gouvernement, du fait que nous assistons à des actes odieux alors que les auteurs sont identifiés…c’est autant des choses qui nous inquiète. Nous condamnons également les actes d’agression organisés par des rebelles et nous pensons avec fermeté que la détérioration de la situation sécuritaire relève essentiellement d’absence totale de vision venant de ceux qui nous gouvernent.

Je veux ici parler d’une vision qui soit vraiment axée vers une recherche véritable de la paix, une vision axée vers la consolidation de la justice de notre pays, vers la construction d’un Etat qui se veut de droit et je pense que les faits sont ci éloquents que nous n’avons même plus besoins de pérorer autour de ces faits-là. On ne peut pas accepter de passer à côté d’un rendez-vous aussi historique qu’a été celui du dialogue dit républicain. Ce sont des opportunités que nous avons gâché. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. On ne peut pas vouloir la paix et s’inscrit dans un comportement qui dupe tout le monde. Je voudrais ainsi interpeller ceux qui ont la qualité constitutionnellement parlant de diriger ce pays de faire preuve de responsabilité politique.

Oubangui Médias : Alors nous constatons ces derniers temps qu’un groupe de la majorité présidentielle s’inscrit dans la logique de faire sauter quelques verrous de la Constitution. Comment appréciez-vous cette démarche ?

Jean Serge Bokassa : Encore une fois, voilà un comportement d’une irresponsabilité notoire. On ne peut pas lorsque nous appartenons à un Etat si fragile dont la construction démocratique se fait lentement et soumise à rude épreuve se permettre aujourd’hui encore de pose des actes comme cela. Ce sont des actes criminels. Ceux qui le font ne recherchent pas le bien du peuple centrafricain. Parce que le bien du peuple centrafricain, nous recherchons à travers le respect des lois, nous recherchons auprès de nos institutions, nous recherchons à travers la recherche de l’intérêt supérieur de la Nation mais nous ne recherchons pas dans cette démarche partisane.

Aujourd’hui, c’est la majorité au pouvoir qui veut s’arroger les privilèges de confisquer le pouvoir de l’Etat que le peuple souverain a confié, il n’en s’aura jamais assez cet acte que je qualifie d’irresponsable. Cette responsabilité restera historique et le peuple s’en souviendra de ceux qui prennent la responsabilité en assumant toutes les conséquences. Il est peut-être temps pour ceux qui sont qualifiés çà et là d’apprentis sorciers de faire marche arrière, de s’abstenir de poser des actes qu’ils auront à regretter demain.

Oubangui Médias : Mais si ce projet passe, comment mesuriez-vous les conséquences ?

Jean Serge Bokassa : Au cas où ces actes aboutiront, le pays sera conduit tout simplement dans le chaos. Il faudrait soulever ici le caractère illégal des actes qui sont posés. Il est très clair que la Constitution dans certaines de ses dispositions reste inviolable et ça, vous le verrez dans l’article 151 qui dispose justement que ni la durée ni le nombre du mandat du Chef de l’Etat ne peuvent être révisés.

Avant même cela vous voyez, ils sont en train de mettre le président de la République en situation de parjure, ce qui est un motif qui peut entrainer la démission du Chef de l’Etat. Donc, je pense que ce sont des actes qui sont extrêmement graves, c’est un coup d’Etat contre le peuple à partir du moment où les moyens utilisés pour pouvoir confisquer le pouvoir de l’Etat sont des moyens qui passent outre les dispositions constitutionnelle. Donc,  c’est un coup d’Etat contre le peuple centrafricain. Ce n’est pas un bras de fer entre la majorité et l’opposition, c’est véritablement un coup d’Etat orchestré contre le peuple centrafricain. Je suis persuadé que le Centrafricain sera présent au moment voulu.

Oubangui Médias : Vous avez observé un long moment de silence et ce qui laisse penser que vous êtes absents de la scène politique. Pourquoi ce silence ?

Jean Serge Bokassa : Dans l’observation, il nous arrive parfois de constater beaucoup de chose et de grandir en sagesse. Il y a eu des évènements qui nous ont énormément marqué, notamment les élections passées qui étaient d’une médiocrité légendaire, le cas, durant toute l’histoire politique de notre pays. Nous n’avons jamais eu d’élections si mal organisées. Notre mouvement qui est un mouvement jeune avait besoin de se remettre un peu de tous ces évènements-là. Il y a eu des évènements qui m’ont touché de façon très personnelle et qui m’ont imposé un tout petit peu de recul.

Mais le recul n’est pas synonyme d’absence. Je suis bel et bien présent, je suis pertinemment ce qui se fait au quotidien, j’écoute énormément autant ce qui se dit au niveau des instances de prise des décisions que ce qui se dit parmi le bas peuple.

Le MKKMS qui est un espace de concertation politique et d’engagement citoyen se fait le devoir d’être toujours près du peuple centrafricain. Nous étions présent à l’arrivée de la Séléka auprès du peuple centrafricain pendant beaucoup  se cachait ailleurs. Je tiens à relever que nombreux sont ceux qui aujourd’hui manipulent la jeunesse à coup d’argent, on ne les voyait pas pendant cette époque-là. Ils se cachaient soit sous le lit soit à l’étranger.

Nous avions milité de façon pacifique contre une cohorte armée parce que nous nous battions pour la restauration de la dignité du peuple centrafricain. Nous continuions de regarder de façon sous crible toute l’actualité du pays. Nous sommes près de la population. Ce temps d’observation participe à cette volonté de vouloir nous réorganiser, mieux apprécier  l’enchaînement des évènements pour nous préparer aux réponses que nous essayons d’apporter le moment venu.

Oubangui Médias : Le pays va amorcer une nouvelle phase d’élections municipales et régionales. Comment votre mouvement se prépare-t-il ?

Jean Serge Bokassa : L’actualité est dominée par le projet de la modification de la Constitution, qui apparait comme le projet phare du gouvernement, les conclusions du dialogue dit républicain restent sous silence, on n’entend même plus parler de ces recommandations. Nous avons l’impression que l’unique priorité du gouvernement c’est d’arriver à faire ce passage en force et à modifier la Constitution. Et parfois les gens ont si mal de réfléchir consciencieusement sur les enjeux politiques liés à ces échéances-là. Ils sont très absorbés par les velléités qui se sont clairement exprimés et nous pensons que dans un cas où l’autre, le MKMKS sera présent. Nous sommes vraiment dans les réflexions.

Oubangui Médias : Est-ce que le prochain gouvernement Moloua 2 vous tente ?

Jean Serge Bokassa : Non seulement je n’y ai pas pensé et le fait de n’y ai pas pensé peut vous montrer un peu les intérêts que je porte. Je pense qu’à ce stade de la gestion, il est impossible pour le MKMKS de collaborer d’une quelconque manière avec ce gouvernement. Que ce soit Moloua 1, Moloua 2 ou Moloua 1000, il n’en sera pas question. Maintenant, je pense que tout dépends des signaux que le chef de l’Etat pourrait donner allant dans le sens de la paix, de la réconciliation. En ce moment-là, le MKMKS pourrait éventuellement participer mais dans tout le cas cela ne se fera pas à travers ma personne.

Oubangui Médias : Votre mot de la fin ?

Jean Serge Bokassa : Mon souhait le plus ardent est que ceux qui aujourd’hui s’agitent, tiennent compte de toutes les souffrances que le peuple ayant endurés, tiennent compte des acquis démocratiques. Je voudrais les appeler à se ressaisir, à aider le président de la République Faustin Archange Touadera à se ressaisir afin de prendre toutes ses responsabilités en tant que Chef de l’Etat. Son silence en dit long. Que le Président fasse cesser la recréation.

Aussi, j’interpelle le peuple centrafricain à une plus grande prise de conscience des enjeux liés à tous les évènements qui secouent le pays ces derniers temps et qu’il apprenne à se défendre. La modification de la Constitution est un coup d’Etat contre le peuple centrafricain. Ce peuple, le moment venu devrait être au rendez-vous.

Oubangui Médias : Jean Serge Bokassa, nous vous remercions

Jean Serge Bokassa : C’est à moi de vous remercier

Interview réalisée par  Fridolin Ngoulou et Annela Niamolo