La République Centrafricaine est loin de sortir de la crise humanitaire. Même si le niveau des violences a baissé depuis presque une année, la vie reste invivable à cause de plusieurs défis dont sont confrontés les retournés et les déplacés encore sur les sites. Nous sommes sur le site des déplacés de pk3 à Bocaranga dans la préfecture de Lim-Pendé. Ce site est révélateur de plusieurs défis.

Ce dimanche 29 mai 2022 marquant la fête des mères dans le monde, elles sont nombreuses à s’occuper de leurs enfants ainsi que des orphelins dont leurs pères ont été tués dans les conflits dans la région de Bocaranga. Elles n’ont pas eu l’occasion de fêter comme les femmes d’ailleurs. Entre tristesse et résilience, elles se battent au quotidien pour s’occuper de leurs familles.

Le site des déplacés de Pk3 à Bocaranga a été créé en 2021. Il accueille  les déplacés de trois villages à savoir Broudoul, Gbezere et Letélé qui ont fui entre juin à décembre 2021 les opérations de reconquête du territoire par les forces loyalistes. Au moins 1050 personnes y vivent, à majorité des enfants et des femmes. Sur ce site, déplacés musulmans et chrétiens vivent en symbiose mais dans la précarité.

Ces déplacés se sont installés à pk3 grâce à plusieurs plaidoyer entre les autorités locales et les acteurs humanitaires. Ils occupent un site proche d’une zone appartenant aux réfugiés Centrafricains, actuellement au Cameroun. Ce site est pratiquement devenu un nouveau quartier qui se construit grâce à l’appui des acteurs humanitaires dans la région.

Des déplacés dans une situation humanitaire encore difficile

La crise humanitaire en République Centrafricaine (RCA) s’est intensifiée, plongeant des pans entiers de la population dans une précarité extrême. Selon le Plan de réponse humanitaire 2022, 3,1 millions de personnes, soit 62% de la population, ont besoin d’assistance humanitaire et de protection, un niveau inégalé en cinq ans.

Selon la Coordination des Affaires Humanitaires, 45% de la population se trouve en situation d’insécurité alimentaire sévère, ce qui place la RCA au troisième rang au monde en termes de prévalence après le Yémen et le Sud Soudan.

Au 31 mars 2022, le nombre total de personnes déplacées internes (PDI) en RCA est estimé à 650 000 personnes. Alors que la Centrafrique peine à faire face aux séquelles profondes d’années de conflits, les premiers signes avant-coureurs de l’augmentation des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité sont visibles et pèseront lourdement sur les capacités de survie des populations les plus vulnérable.

Au 30 avril 2022, le nombre total de personnes déplacées internes (PDI) en République centrafricaine est estimé à 658 265 individus composés respectivement de 163 551 personnes dans les sites (25%) et 494 714 personnes dans les familles d’accueil (75%). Cela représente une augmentation de 8 471 PDI (1,3%) par rapport au mois de mars 2022 où le nombre de PDI était estimé à 649 794 personnes.

En effet, la plupart de ceux qui se trouvent sur le site de Pk3 à Bocaranga sont des retournés du Tchad. Vivre comme réfugiés pendant plusieurs années avant de rentrer au pays pour vivre à nouveau dans un camp des déplacés est insupportable, comme l’a témoigné le délégué du camp Amadou René. « Nous vivons en cohésion entre chrétiens et musulmans peules mais dans une condition très difficile. Nous sommes plus de 1000 déplacés mais notre première difficulté est que nous n’avons plus d’activités agropastorales. Nous avions tout perdu et ici, nous n’avons pas accès aux terres pour cultiver, nous dépendons des interventions humanitaires», témoigne Amadou Réné, espérant que le gouvernement fera tout pour qu’ils reprennent leurs activités.

Sur ce site des déplacés, il manque un point d’eau potable et les déplacés sont obligés de consommer l’eau de source souvent salle. Même si un acteur humanitaire avait amélioré deux sources, le risque reste élevé. Les enfants doivent se déplacés trois kilomètres pour avoir accès à l’éducation. La santé est menacée surtout pour les enfants et les femmes enceintes en cette période de pic palu. « L’OMS nous a aidés en nous fournissant des médicaments mais depuis deux mois, nous en avons plus. A l’hôpital, le service de la gratuité ne concerne pas tout le monde et tous les cas», regrette pour sa part Ali Soumaila.

Engins explosifs, des nouveaux défis pour la population et les humanitaires

Les engins explosifs viennent restreinte le mouvement de la population civile mais aussi des acteurs humanitaires, exposant les déplacés à une plus grande précarité. « Ocha plaide beaucoup pour que les humanitaires nous viennent en aide. Mais, c’est souvent difficile à cause des engins explosifs qui minent les routes. Cela complique encore notre situation. Nous les femmes, nous sommes obligées de rechercher les fagots pour vendre. On ne peut pas aller en profondeur dans la brousse. Nos enfants n’ont pas d’activités et cela nous préoccupe aussi», a relaté Samira, mère de neuf enfants et de 5 petits fils à sa charge.

La guerre a dispersé la famille de Samira et son mari se trouverait comme réfugié soit au Tchad, soit au Cameroun. Plusieurs déplacés de ce site se retrouvent dans la même situation. Ali Soumaila s’est séparé de sa famille depuis 2014.

Les acteurs humanitaires ont aussi de la peine à se déplacés. « Quand on va sur le terrain, nous ne savons pas si nous allons retourner vivant. Alors que les besoins sont là », a déclaré  Janvier Chibalonza, chef de projet sécurité Alimentaire à l’ONG IEDA Relief qui souligne que les engins explosifs sont des menaces réelles pour les acteurs humanitaires dans la région.

Cette ONG  intervient dans les sous-préfectures de Bocaranga, de Ngaoundaye et de Koui dans le cadre de la sécurité alimentaire et attend son financement pour le volet de la nutrition.

L’ONG COPADEM est dans le projet de l’Eau, hygiène, Assainissement ainsi que la santé dans la sous-préfecture de Bocaranga, de Ngaoundaye notamment dans le district sanitaire de l’Hôpital de Ngaoundaye et de Bocaranga-Koui. Mais faire le terrain devient difficile.   « Avant de faire le terrain, nous devons avoir la certitude que les engins ne se retrouvent pas sur la route qu’on va prendre. Nous devons demander les FACA et la Minusca. Quelque fois, cela nous empêche de réaliser le travail dans le temps imparti. Ça bloque nos interventions de terrain », a pour sa part témoigné Nkeng Orutse Doris de l’ONG COPADEM.

En Centrafrique, au moins 30 civils ont été tués et 49 blessés dans 63 incidents impliquant des mines et autres engins explosifs entre janvier 2021 et mars 2022. Ce nouveau défi vient compliquer l’accès humanitaire à des milliers des déplacés dans le pays.  Entre janvier et mars 2022, sept personnes, toutes civiles, ont été tuées et 29 blessées, dont 19 civils, dans 19 accidents impliquant des engins explosifs dans la région du nord-ouest du pays.

Les axes Bocaranga-Bozoum sont en rouge car plus de 10 mines anti personnels ont été signalés sur cet axe.

Les déplacés du site de pk3 de Bocaranga ainsi que plus d’un million de personne vulnérable doivent vivre en difficultés en raison de ces engins ainsi que de la mobilisation des ressources qui se raréfient à cause des conflits mondiaux, notamment la guerre en Ukraine.

Fridolin Ngoulou