Directeur général de la société HUSACA et Palm d’Or, Raed Hariri est un entrepreneur agricole qui développe sa politique du « Combat pour la fin de la faim ». Dans la culture du maïs en Centrafrique, il est le leader en production et transformation. Quelques jours après l’annonce du Rwanda d’investir dans le domaine de la production du maïs en Centrafrique, Raed Hariri salue cette nouvelle et encourage par la même occasion les Centrafricains, surtout ceux de la diaspora à investir dans le domaine de l’agroalimentaire pour que le pays deviennent le grenier de la sous-région et de l’Afrique. Il est interviewé par Oubangui Médias.

Oubangui Médias: Monsieur le directeur général bonjour. Vous êtes un entrepreneur agricole. Le Rwanda a annoncé qu’il va très bientôt commencer à exporter les semences de maïs vers la Centrafrique. Vous vous êtes investis dans la culture de maïs depuis plusieurs années. Comment accueillez-vous cette nouvelle ?

Raed Hariri : Bonjour. On ne peut qu’être heureux et favorables. Toutes les personnes qui ont la volonté de venir aider la Centrafrique à augmenter la production agricole, augmenter la superficie culturale ne peut être qu’une bonne nouvelle. Aujourd’hui, rien que la production de maïs, nous accusons un déficit de plus de 90.000 tonnes par année. Ce manque à gagner est un besoin qui est là mais malheureusement c’est la quantité que le pays n’arrive pas à trouver.

Si demain nous arrivons à augmenter la production, nous allons nous rendre compte que tout autour de la production du maïs, il y aura d’autres activités qui vont se créer. Je cite toujours en exemple l’élevage des poulets. Pourquoi les centrafricains achètent-t-ils un poulet à 5.000 FCFA ? Normalement, un poulet si tout est produit ici sera vendu à moins de 2000 FCFA. Mais le problème qui est là est que les producteurs ne peuvent pas vendre un poulet à 2000 FCFA parce que l’aliment de base, produit à base de maïs est cher.

Au niveau national, d’après nos études, les productions des maïs tournent autour de 8000 à 10.000 tonnes par année. Mais le besoin est de plus de 100.000 tonnes. Automatiquement, nous avons un déficit de 90.000 tonnes. Ce déficit fait que les 10.000 tonnes produits ne répondent pas aux besoins de la population. Tout le monde s’acharne et nous enregistrons de la spéculation.

Voilà ce qui fait que si quelqu’un veut monter un produit d’élevage des volailles, il aura des difficultés car 70% du projet ira vers le maïs. Si on dit que le kilogramme du maïs ici c’est à 200 FCFA, il est obligé de l’acheter et cela impacte sur le prix de revient du poulet. Voilà ce qui fait que jusqu’aujourd’hui, on continue à nous inonder avec les produits surgelés importés. Pour votre information, selon les statistiques, la Centrafrique importe plus de 1000 conteneurs de poulet et de poisson surgelés par an.

C’est dommage alors que nous sommes un pays béni avec 15 millions d’hectares des terres arables, 1200 à 1800 mm de cube de pluie par année, arrosée par une parfaite hydrologie et un sol généreux qui ne demandent qu’à semer la graine avant toute campagne et attendre le moment de la récolte pour semer, manger et vendre. Ça, c’est une bénédiction. Nous avons 68 à 70% des acteurs de la population centrafricaine qui ne survivent que grâce à l’agriculture. Mais malheureusement jusqu’aujourd’hui, notre agriculture est de survie pour ne pas dire subsistance car là, les gens devraient manger deux à trois fois par jour.

Aujourd’hui, le rendement moyenne du maïs  à l’hectare sur l’étendue du territoire national est de 500 kilogrammes, pendant que le Cameroun arrive à produire jusqu’à 400.000 kilogrammes. Au Cameroun, les agriculteurs ont accès à des bonnes semences, aux intrants agricoles et reçoivent régulièrement des formations sur le respect de l’itinéraire technique, du calendrier agricole  qui sont des facteurs primordiaux quand on fait de l’agriculture.

Oubangui Médias : Est-ce très important de travailler avec les partenaires étrangers sur les questions des semences ici en Centrafrique ?

Raed Hariri : Chacun a sa vision, chacun a sa politique. Etant un centrafricain qui se souci de la situation économique et sociale de son pays, à leur place, j’allais produire les semences au niveau local, parce qu’on peut le faire. Certes aujourd’hui, il y a certains organismes qui ne veulent pas que ce pays se développe, surtout à travers l’agriculture. Mais, je pense que quand on parle de l’indépendance, la première des choses est que nous devons être indépendants sur le plan alimentaire. Cela veut dire que je suis dans un pays qui produit à quantité suffisante, capable de nourrir toute la population trois fois par jour  et en qualité, le pays ira vers un développement. Tant que le ventre est vide, il n’y aura pas développement.

Maintenant, les rwandais ont envisagé exporter leurs semences ici en Centrafrique. Nous nous posons des questions de savoir si nous avons les mêmes variétés de sol, les mêmes conditions climatiques. Nous osons espérer qu’ils ont pris toutes les dispositions nécessaires.

Au-delà de tout, nous disons que c’est aussi une bonne action. Nous ne pouvons pas critiquer quelqu’un qui veut venir aider à augmenter la production du maïs. Qu’on ne veuille ou pas, nous avons un déficit crucial au niveau national. Nous importons 70 à 80%  de nos besoins depuis l’étranger. Si le Rwanda veut venir avec ses semences, produire localement pour redistribuer aux autres producteurs afin que le rendement augmente, nous ne pouvons que saluer.

Oubangui Médias : Serez-vous prêts à collaborer avec ces investisseurs agricoles rwandais ?

Raed Hariri : Avec plaisir. Nous souhaitions des actions dans ce sens. C’est le but même de notre « combat pour la fin de la faim »: Attirer toutes les bonnes fois, nationaux et internationaux dans cette vision. De toutes les façons, ils ont la volonté de venir réellement travailler dans le pays, faire tout afin que le pays soit autosuffisant avant de commencer à réfléchir sur des exportations. Nous ne pouvons que collaborer ensemble.

Oubangui Médias : C’est important pour que le pays accueille des investisseurs agricoles ?

Raed Hariri : Tout à fait. Mais j’aurais aimé que cela commence par nous-mêmes. Nous avons beaucoup de nos compatriotes de la diaspora qui peuvent se procurer des tracteurs et venir s’acheter un ou deux hectares de terre. Ils ont les moyens de mettre en place des projets agricoles. Nous pouvons commencer comme ça. Malheureusement, avec l’absence de nos compatriotes, de la volonté des enfants du pays, nous laissons d’emblée la place aux autres de venir faire ce que nous devrions faire. C’est pénible à supporter et c’est malheureux.

Oubangui Médias : Dites-nous pourquoi les centrafricains ne veulent pas investir dans l’entrepreneuriat agricole ?

Raed Hariri : Nous pensons que c’est notre système éducatif qui est à la base. Le système éducatif français qui nous caractérise veut à ce que quelqu’un va à l’école, on obtient beaucoup de diplômes, plein de diplômes parfois, après chercher un travail dans la fonction publique ou dans une société privée, travailler derrière un bureau, avec des ordinateurs et on s’arrête là. S’il n’ y a pas de travail de bureau, on a formé des chômeurs. Le système anglophone t’apprend à entreprendre.

Les centrafricains n’entreprennent pas. Nombreux n’ont pas cette ouverture d’esprit. Une chose aussi plus malheureuse est qu’aujourd’hui, la plus part des compatriotes centrafricains investissent dans un ou deux business : Les bars ou les garrottes et le commerce des taxis motos qui inondent la ville avec plusieurs conséquences. Les gens aiment les choses faciles. Je pense qu’avec beaucoup de sensibilisation de la part de nos autorités et nous autres qui avons compris, après quelques années, nous arriverons à inverser les tendances.

Mais, il y a aussi un facteur très important, c’est la diaspora. Ceux-là pouvaient contribuer mais la plus part passent leurs temps sur les réseaux sociaux et surtout Facebook pour des lives de 3 à 4 heures de temps pour nous raconter des futilités et des banalités qui ne nous permettent pas d’avancer. Ils vivent peut-être bien là où ils sont mais n’ont pas encore les vraies informations sur les réalités du pays. Nous traversons un moment plus que difficile. Le taux de chômages qui n’arrête pas de grimper, le manque de production au niveau local, le fait que nous importons 80% de nos besoins…Il suffit de jeter un coup d’œil sur le budget de l’Etat pour s’en rendre compte que beaucoup de financement sont attendu de l’extérieur. Il y a tout un déficit budgétaire de 136 à 140 milliards de Fcfa qui devrait être comblés par les aides budgétaires de l’extérieur, voilà la réponse. Cette tendance ne pourra être inversée que lorsque nous allons améliorer notre balance commercial et l’amélioration de la balance commerciale ne pourra jamais se faire tant que nous n’aurions pas produit au niveau local.

Oubangui Médias : Le gouvernement courre derrière une politique de faire de la RCA le grenier de la sous-région et de l’Afrique. Selon vous est-ce réaliste ?

Raed Hariri : Bien sûr que c’est réaliste. Moi personnellement, je vois que cela est en train d’arriver. Maintenant cela prendre peut-être quelques temps, cinq, dix ans mais que durant ma vie par la grâce de Dieu, la Centrafrique sera au moins le grenier de la sous-région. Nous avons tous les atouts pour le devenir.

Oubangui Médias : Quel est votre conseil aux autres entrepreneurs agricoles pour que tous, nous courrons vers cette vision ?

Raed Hariri : Nous en avons pas beaucoup, nous ne sommes pas nombreux à entreprendre dans le domaine de l’agriculture. Si j’ai vraiment un conseil et un vœu en même temps, c’est de leur dire qu’il faut continuer et ne pas baisser les bras devant les aléas de la vie. C’est un domaine certes difficile ici chez nous mais avec de la volonté et de la détermination, nous y arriverons. La chose la plus importante est que sans se rendre compte, les entrepreneurs agricoles sont en train d’aider directement et indirectement des milliers des centrafricains qui subsistent grâce aux activités agricoles.

Oubangui Médias : Monsieur le directeur général, merci

Raed Hariri : C’est à moi de vous remercier pour cette occasion.

Interview réalisée par Fridolin Ngoulou