Intervenant pour la 2e fois depuis 2018 à la réunion du Conseil des Nations-Unies sur la question de la paix en Centrafrique, Martine Kessy Ekomo-Soignet Jeune Centrafricaine, Fondatrice et Directrice Exécutive de l’ONG URU reste optimiste que l’espoir est plus fort que la peur. Cette jeune Centrafricaine lance un cri de cœur pour la paix et la justice dans le pays. Le peuple veux la paix et réclame justice réclame justice pour les milliers de vies innocentes ôtées.
Voici l’intégralité de son discours, présenté en Visio conférence le 24 février 2021
Madame la Présidente, Distingués membres du Conseil de Sécurité Mesdames et Messieurs, C’est un honneur pour moi de m’adresser à vous sur la situation de mon pays, la République centrafricaine.
En effet, des milliers de mes compatriotes auraient aimé saisir une telle opportunité pour s’adresser directement à vous pour vous faire part de leurs inquiétudes, de leurs peurs, de leurs espoirs et de leur vision pour l’avenir de ce beau pays. C’est pourquoi j’ai consulté plusieurs jeunes, femmes et acteurs de la société civile vivant en Centrafrique et dans la diaspora afin de refléter leurs voix dans mon intervention.
Mesdames et Messieurs, la situation dans mon pays est complexe, tendue et difficile. Nous vivons dans la peur ;
La peur de perdre nos vies et celles de nos proches à cause de la violence armée ;
La peur d’être physiquement abusé ;
La peur de ne pas avoir les moyens économiques pour la survie, surtout en cette période de pandémie qui a exacerbé les vulnérabilités.
Cependant, malgré ces peurs, aujourd’hui, je souhaiterai passer un message de la part du peuple centrafricain : Nos espoirs sont plus forts que nos peurs.
Nous croyons fortement qu’il est possible de sortir de cette situation d’instabilité dans laquelle nous vivons depuis des années ! Oui, nous sommes conscients de notre vulnérabilité face aux crises et aux violences. Oui, nous avons besoin d’être appuyés par nos partenaires – et nous sommes reconnaissants de leur engagement et de leurs sacrifices – j’en profite pour saluer la mémoire des hommes et des femmes qui ont payé l’ultime sacrifice pour la cause de la paix dans mon pays.
Oui, notre peuple a appris à faire preuve de résilience, a toujours choisi le chemin de la paix et de l’unité face aux tentatives de déstabilisation et de division.
Oui, la population, notamment les jeunes et les femmes est prête à se relever et à tourner la page des crises répétitives.
Cet engagement n’est pas nouveau. Il a été visiblement réitéré lors du Forum de Bangui en 2015, qui a permis au peuple centrafricain de parler d’une seule voix ; la voix de la paix. Ce cri de cœur résonne encore aujourd’hui 6 ans après !
Mesdames et Messieurs,
Le contexte actuel rappelle malheureusement à des millions de centrafricaines et de centrafricains le traumatisme de la crise de 2013. Ce traumatisme est réel comme en témoigne les évènements du 23 Décembre 2020.
Ce traumatisme est caché sous notre détermination à vivre ensemble malgré tout ; notre détermination à créer, à transformer positivement notre pays et à se relever ensemble comme un seul peuple uni et fort.
Les violences perpétrées par la nébuleuse coalition armée appelée « CPC » a rendu la vie de mon peuple très pénible. Ces violences ont contribué à détériorer la situation sécuritaire et humanitaire.
Ces violences ont compromis le droit à l’éducation de milliers de centrafricains. Par ailleurs, le couvre-feu et l’état d’urgence instaurés par le gouvernement ont aussi impacté la vie de la population sur plusieurs plans, notamment au niveau socio-économique, car notre pays se caractérise par une économie largement informelle et active de jour comme de nuit.
Sur le plan social, il y a malheureusement une recrudescence des violences basées sur le genre et des agressions sexuelles au sein des communautés. Au niveau politique, la situation actuelle questionne l’avenir du processus de paix, et notamment l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation. La société civile, et de manière spécifique les jeunes et les femmes, ont œuvré ces deux dernières années pour que cet Accord soit le cadre de référence pour asseoir une paix durable.
Ainsi, nous avons mené des actions de plaidoyer auprès des décideurs et des groupes armés pour faire avancer la cause de la paix et faire taire les armes. Aujourd’hui, nous appelons à un redoublement d’efforts de la part de toutes les parties prenantes, des garants et facilitateurs de l’Accord pour la revitalisation du processus de paix – car le peuple a soif de paix ; et nous devons cette paix à la génération présente et aux générations futures.
Notre peuple a des rêves pour notre pays, ce rêve est plus vibrant encore dans le contexte actuel, et ce malgré notre fatigue et nos peurs.
En 2020, une analyse participative conduite sur l’ensemble du territoire centrafricain et axée sur les besoins et les aspirations de la jeunesse, qui représente plus de 70% de la population, a montré que la paix se traduit tout d’abord pour ces jeunes par la liberté de circulation des biens et des personnes.
Cette étude a aussi montré que malgré le contexte difficile, 86% des jeunes ne veulent pas immigrer ; ils veulent rester au pays et réussir. Nous rêvons de voir notre pays se développer dignement, atteindre les objectifs de développement durable à l’horizon 2030, et réaliser les aspirations de l’Agenda 2063 de l’Afrique que nous voulons.
Nous rêvons de voir la vision du père fondateur de la République centrafricaine, Barthelemy Boganda formulée au tour du « Zo Kwe Zo » : en d’autres termes, embrasser la diversité du peuple centrafricain en veillant à ce que l’impunité soit combattue et que les droits et libertés fondamentaux puissent devenir une vraie réalité pour tous.
Ainsi, nous rêvons que la liberté d’expression et de penser soit aussi au cœur des efforts portés par les jeunes, les femmes, les hommes, décideurs et pays amis qui œuvrent pour la paix en République Centrafricaine. Car il n’existe pas une seule voix à la résolution d’un conflit. Prôner une seule voix remettrait en question la diversité de notre nation et surtout le courage des populations qui se sont exprimées dans les urnes contre vent et marrés.
Mesdames et Messieurs,
Mon peuple a soif de justice. Il réclame justice pour les milliers de vies innocentes ôtées,
Ils réclament justice pour les filles et les femmes violées, physiquement abusées ;
Ils réclament justice pour les propriétés et autres biens détruits.
Cette justice a toujours été un cri, une demande compulsive de la population centrafricaine qui ne cautionne pas l’impunité.
Enfin, il n’aura pas de paix durable sans la participation effective des femmes et des jeunes qui représentent plus de 75% de la population. Comment penser une paix durable sans eux ?
Leur contribution ne devrait pas se limiter à des consultations ad hoc mais elle devrait s’inscrire dans une approche participative, inclusive et active à tous les niveaux de décisions.
Ces jeunes et ces femmes artisans de paix doivent être appuyés techniquement et financièrement pour amplifier l’impact de leurs actions de consolidation de la paix.
Distingués membres du Conseil,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite conclure en rappelant aux membres du Conseil que la population centrafricaine est consciente du poids décisif qu’ils représentent pour l’avenir de notre pays.
Votre action ou inaction peut sauver ou coûter des vies en République centrafricaine. Ainsi, nous comptons sur la sagesse des membres de cette auguste assemblée pour prendre des décisions au service de la paix et de la sécurité dans mon pays.
Pour notre part, nous restons actifs sur le terrain et gardons un ferme espoir qu’un jour notre pays sortira de ces crises à répétition grâce aux efforts conjugués du peuple centrafricain, avec l’appui de la communauté internationale. Je vous remercie pour votre aimable attention.
Kessy Ekomo Soignet
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