Les évêques de Centrafrique, réunis en Assemblée Plénière à Bimbo du 04 au 16 janvier 2023 craignent un risque d’une profonde crise sociopolitique et économique au regard du contexte actuel du pays. Ils ont toutefois relevé une situation sécuritaire avant de plaider pour que les forces armées centrafricaines soient dotées de matériels nécessaires pour reconquérir les quelques endroits encore sous la coupe des rebelles.

Ci-après l’extrait de leur message en ce qui concerne exclusivement la situation du pays.

I. Situations actuelles du pays

L’année 2022 s’en est allée avec ses lots de joies, de réussites et d’échecs. L’année 2023 s’ouvre avec des promesses d’espérance, des chantiers et des défis, mais aussi avec des préoccupations qui sont sources d’inquiétudes.

1-1:Le risque d’une profonde crise sociopolitique et économique

De vives tensions sociopolitiques sont aujourd’hui très perceptibles dans notre pays. Le clair-obscur autour d’une révision, sinon réécriture constitutionnelle, polarise la classe politique, l’opinion publique, la diaspora centrafricaine, la société civile et les forces vives de la nation. Cette question est source d’inquiétudes et de préoccupations.

Par ailleurs, la République Centrafricaine (RCA), à l’instar des autres États du monde, fait face aujourd’hui aux conséquences néfastes de l’actuelle crise internationale. Cette dernière a contribué évidemment à la détérioration du tissu social et économique de notre pays, déjà fragilisé par les nombreuses et récurrentes crises militaro-politiques. La pénurie du carburant et la flambée exponentielle des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité constituent déjà le lot de souffrances du peuple centrafricain.

Certes, au vu du contexte international de crise, la « real-politique » impose aux gouvernements des pays du monde de prendre des décisions et des mesures nécessaires pour faire face aux défis de l’heure.

Nous nous demandons, toutefois, quelles conséquences pourraient avoir de telles décisions et mesures sur le faible tissu social et économique de notre pays, sur les émoluments des fonctionnaires de l’État et sur le faible panier de la ménagère ? Nous craignons que de telles décisions ouvrent la voie à une profonde crise sociopolitique et économique sans précédent.

1-2: Un climat sécuritaire préoccupant

Le gouvernement de notre pays n’a ménagé aucun effort pour ramener la paix, reconquérir et libérer des villes et territoires, naguère occupés par les groupes armés, et ainsi rétablir progressivement l’autorité de l’État sur l’étendue du territoire national. Nous saluons la mémoire de nos vaillants soldats qui ont donné leur vie pour que nos populations puissent aujourd’hui vaquer paisiblement à leurs occupations. A leurs familles et proches, nous exprimons notre proximité et profonde compassion.

Une nette amélioration de la situation sécuritaire, en comparaison aux années précédentes, ne peut être niée. Nos forces de sécurité et de défense feraient davantage montre d’efficacité dans le combat contre les groupes armés et auraient déjà libéré certaines de nos villes et localités qui demeurent encore des territoires de non-droit, si elles avaient été dotées d’équipements et de moyens logistiques appropriés.

Nous assistons malheureusement à la prise en otages crapuleuse des fonctionnaires de l’État et des humanitaires, aux assassinats odieux des voyageurs, ainsi qu’au largage des projectiles sur des sites et poudrière militaires dans le but de faire un maximum de victimes et de dégâts.

Avec la saison sèche qui commence, il est à craindre une recrudescence des exactions des groupes armés, plongeant la population centrafricaine dans un continuel cycle de violences et de nuisances.

Nous encourageons fortement le gouvernement à plus de vigilance et de contrôle dans le paiement et l’acheminement des PGA de nos forces de sécurité et de défense afin de mettre un terme définitivement aux rackets systématiques observés au niveau des barrières et des postes de contrôle.

Nous invitons le gouvernement à poursuivre sans relâche, avec fermeté et détermination, le combat pour la sécurité et la paix, la libre-circulation des biens et de nos concitoyens.

Le risque d’une crise sociopolitique et économique et la question sécuritaire ne devraient pas nous empêcher de prendre en considération le phénomène grandissant du patrimoine foncier.

1.3. L’accaparement des terres et la dilapidation du patrimoine foncier

La République Centrafricaine a toujours été une terre accueillante et hospitalière. Contre toute forme de xénophobie, l’hospitalité et l’accueil de l’étranger sont inscrits 4 au cœur de notre foi chrétienne (cf. Gn 18, 1-11 ; Ex 22, 21-22 ; Ep 2, 19) et en lettres d’or au sommet de nos valeurs ancestrales et culturelles.

C’est avec beaucoup de questionnements que nous assistons aujourd’hui à un véritable empressement et une ruée des ressortissants de la sous-région voire au-delà d’elle pour l’achat des terres. Nous sommes conscients que le sous-peuplement de l’immensité de la superficie de notre pays, la pluviométrie abondante et la fertilité de notre sol, l’immense potentialité de nos espaces arables, nos richesses naturelles, forestières et minières attisent beaucoup de convoitises et génèrent autant de souffrances.

Nous n’avons rien contre l’injection de capitaux étrangers dans le faible tissu économique centrafricain, pourvu qu’ils créent des richesses et des emplois pour les filles et fils de ce pays. Cependant, de grandes parcelles arables de plusieurs hectares et des sites stratégiques, miniers et forestiers sont vendus à tour de bras.

On est en droit de se demander si les enjeux de la mise en vente du patrimoine foncier à des expatriés, toujours plus nombreux, se bousculant aux portes de notre pays sont compris et pris au sérieux. Ne sommes-nous pas en train de créer à court, moyen et long terme, toutes les conditions d’un agro-pastoralisme et d’une économie extravertie dont les rênes ne finiraient-ils pas par échapper aux Centrafricaines et aux Centrafricains ? Une telle interrogation mérite que l’on s’y attarde longuement sans méconnaître le contexte de notre Église.

Source:  Message des Evêques du 15 janvier 2023