Depuis son accession à l’indépendance, le Centrafrique continue de traverser des crises politiques et institutionnelles à répétition qui ont contribué à l’effondrement du tissu social vertical et horizontal. Pour relever le défi de réconciliation, plusieurs ingrédients sont souvent mobilisés, des débats inter centrafricains y compris. Ainsi, depuis 2012, le Centrafrique en a totalisé environ une dizaine avec l’Accord politiques pour la paix et la réconciliation (APPR), conclu entre le gouvernement et les 14 groupes rebelles.

En dépit de toutes ces « rencontres nationales », les Centrafricains se préparent encore pour une autre « rencontre nationale ». Une seule hypothèse est susceptible de justifier la nécessité d’une telle démarche : les précédents auraient été mal négociés, mal tenus, des recommandations insuffisamment mises en œuvre, avec les mauvais acteurs et des comités de suivi qui n’existent que de nom. D’où la principale question qui m’intéresse dans cette tribune, le futur dialogue républicain est-il encore une rencontre de trop? Autrement dit, quelle est sa valeur ajoutée?

Ma tentative de réponse à cette question gravitera autour de trois points. La compréhension du contexte de sollicitation de ce « Dialogue républicain » (I) est nécessaire à l’appréciation de son opportunité (II), permettant ainsi de formuler des mesures incitatives pour son encadre juridiquement (III).

I- Le contexte du «  Dialogue républicain » en Centrafrique

Au moment où les Centrafricains sont plus que jamais divisés et doivent créer les conditions d’une cohésion nationale en vue d’une réconciliation, l’idée d’une « rencontre nationale » est née comme l’un des moyen permettant d’atteindre cet objectif. A cet effet, le 29 janvier 2021, au mini sommet des pays de la région des grands lacs en Angola, le Président de la République Faustin Archange Touadera a affirmé sa disponibilité à engager un dialogue républicain avec l’opposition démocratique et toutes les forces vives de la nation pour «  sortir la RCA de cette crise interminable qui plombe son développement socio-économique ».

Cette promesse s’est matérialisée par des consultations populaires, une première étape visant à recueillir les avis des différentes sensibilités nationales, dans le but, d’«  identifier ensemble les points n’ayant pas trouvé de réponse dans les précédents engagements nationaux » (Président de la République).

Mais le 30 octobre 2021, l’opposition démocratique a décidé de se retirer du comité d’organisation de ce débat national ; pour raison, la demande de levée d’immunité des trois députés (09 avril 2021) que sont M. Anicet Georges Dologuele, Martin M. Ziguele et M. Aurélien Simplice Zingas, soupçonnés d’avoir soutenu la rébellion de la coalition des patriotes pour le changement (CPC).

Heureusement une solution sage a été trouvée grâce à la sagacité des acteurs politiques puisque le 31 janvier 2022, le Ministre de la justice a transmis à l’opposition une lettre adressée au Président de l’Assemblée Nationale (Parlement) par le Procureur de la République, estimant que la demande de levée d’immunité est « sans objet ». Par conséquent, à travers un communiqué de presse du 03 février 2022, l’opposition démocratique, composée de la COD-2020, du MLPC et du PATRIE a décidé de retourner dans le comité d’organisation du «  Dialogue républicain ». La prochaine étape devrait être les assises du «  Dialogue républicain » proprement dites.

II- Le «  Dialogue républicain », un dialogue de plus ?

Le Centrafrique a totalisé presque huit débats nationaux, relativement dans un intervalle de 10 ans. Le futur « Dialogue républicain » est-il un dialogue de trop ? Quelle est sa valeur ajoutée ? En quoi se distingue –t-il des autres ? Deux réponses classiques peuvent être envisagées.

Soit dire « oui », il s’agirait d’un « Dialogue de trop» comme les précédents puisque souvent pendant ces rencontres nationales, les Centrafricains seraient égoïstes et se préoccuperaient beaucoup plus de ce qui est inutile (perdiems, poste…) et ce, au détriment de ce qui est déterminant, à savoir, la paix, la justice et la réconciliation. 

Soit aussi dire, « non » : il se distinguerait des précédents car non seulement les groupes armés sont exclus même si les conclusions des travaux sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’APPR et les recommandations formulées avec la contribution active de tous les groupes armés qui y ont restés fidèles seront prises en compte dans le cadre de ce « Dialogue républicain » ; mais aussi, il n’y aura pas d’impunité car «  les responsables et complices devront répondre de leurs actes devant la justice ».

Mais de telles réponses, par « oui » ou par « non », sont très faciles et ne sont pas de nature de trouver une solution de sortie de crise durable. La véritable réponse à la question « est-il un dialogue de trop ? » réside dans une volonté politique sincère de tous les acteurs sans exclusives : i) Faire des recommandations allant dans le sens de corriger toutes les inégalités et injustices qui sont à la base de la récurrence des crises en RCA ; ii) Mettre en œuvre de bonne foi ces recommandations formulées et ; iii) Mettre en place un comité de suivi et d’évaluation effectif. Ces trois conditions commutatives sont la clé de voûte du futur « Dialogue républicain ».

III- La nécessité de formaliser les différents « Dialogues républicains »

Il est important de voir les choses autrement et de ne pas considérer la récurrence des « dialogues politiques » comme un défaut. Peut être il s’agit là d’une particularité en Centrafrique qui trouve son fondement dans la tradition africaine de « l’arbre à palabre », entendu comme un lieu où les enfants viennent écouter un ancien du village conter des histoires, mais aussi, et surtout un lieu traditionnel de rassemblement, à l’ombre duquel on s’exprime sur la vie en société, les problèmes du village ou de la politique. Un dialogue franc et sincère est une efficace et puissante arme contre l’agressivité et permet de privilégier les moyens pacifiques de résolution des conflits.

Il est donc important de donner la valeur constitutionnelle à ces «  dialogues » en les inscrivant dans la Constitution et en faisant en sorte qu’ils se tiennent régulièrement, au moins une fois l’an.

A propos de l’auteur

Arnaud Yaliki est docteur en droit & licencié en science politique. Expert en justice transitionnelle, il est enseignant-chercheur à l’Université de Bangui et Président de l’Observatoire Centrafricain de Justice Transitionnelle.

(arnaudyaliki@ymail.com)