REMARQUES PRELIMINAIRES

L’objet de la présente opinio juris est de me prononcer sur le statut juridico-politique  de la Commission Vérité Justice Réparation et Réconciliation (ci-après la CVJRR ou la Commission). La question ne se pose pas ouvertement pour l’instant mais semble être une « guerre froide » et s’inscrit dans un constat général en République Centrafricaine. Mais d’emblée, j’aimerais formuler deux observations préliminaires pour faciliter la compréhension de ma démarche à tous les lecteurs du présent point de vue.  

En premier lieu, cette opinio juris est un cadeau d’anniversaire offert à la CVJRR et son partenaire naturel qu’est le gouvernement, à l’occasion de la commémoration du premier anniversaire de nomination des commissaires, célébré le 30 décembre. En second lieu, le présent avis est donné dans un contexte précis : un pays en crise qui mobilise tous les ingrédients nécessaires en vue de rétablir les repères perdus.

A propos de son statut, la CVJRR est un Etablissement public particulier (I), ce qui fait d’elle une institution de la République du fait de son rattachement à la Constitution (II).

  1. LA CVJRR, UN ETABLISSEMENT PUBLIC PARTICULIER

Il est déterminant qu’une Institution de la République comme la CVJRR jouisse d’une autonomie et d’une indépendance vis-à-vis de ses partenaires lui permettant de bien remplir sa mission. A cet effet, la loi n°20.013 du 11 juin 2020 portant création, organisation et fonctionnement de la CVJRR (ci-après la loi) a tout prévu, dans les moindres détails. La CVJRR  est une personne morale de droit public gérant un service public spécialisé, distincte de l’Etat et des collectivités territoriales mais rattachée à eux » (Pierre- Laurent Frier). Cette définition rime bien avec l’article 2 de la loi qui dispose que la CVJRR jouit d’une autonomie administrative et financière, juridique, technique et de l’indépendance d’action vis-à-vis des autres institutions de la République avec lesquelles elle entretient une franche collaboration. Trois conditions cumulatives nécessaires pour un Etablissement public classique peuvent être dégagées de ces dispositions. 

D’abord, la CVJRR est une personne morale de droit public, autonome. Cette condition est généralement caractérisée par l’existence d’organes délibérants ou d’un Conseil d’Administration. Dans l’espèce, la Commission dispose d’une assemblée plénière (composée des onze Commissaires) qui détient tous les pouvoirs (organe délibérant) et joue le rôle d’un Conseil d’administration.

Ensuite, cette autonomie et indépendance n’exclut pas le pouvoir de contrôle sur certains actes de la CVJRR, notamment sur le plan financier où un comptable public et un contrôleur financier doivent être nommés, sous la responsabilité de qui toutes les opérations financières vont s’effectuer (art. 42 de la loi). Comme conséquence, la gestion des finances est soumise au contrôle de l’inspection générale d’Etat et de la Cour des comptes (art. 43).

Enfin, on note le principe de spécialité. La Commission a une mission politique spécifique : lutter contre l’impunité aux cotés des mécanismes judiciaires. Il s’agit là d’une compétence d’attribution, limitativement énumérée à l’article 6 de la loi.

Mais il est important de souligner que la CVJRR est un établissement public d’un autre type. Contrairement à ce qui se passe pour les Etablissements publics classiques, qui doivent leur création et leur statut à la loi et qui n’ont de rapport qu’à la loi, la  CVJRR a un rapport à la Constitution. Le législateur a voulu que cette institution soit garantie constitutionnellement. Raison pour laquelle son Règlement intérieur se trouve doté d’un statut particulier, avec la saisine de la Cour constitutionnelle pour un contrôle de constitutionnalité.

La CVJRR est un Etablissement public particulier aussi parce que le schéma qui est prévu par la loi d’un contrôle de constitutionnalité à priori du Règlement intérieur ne se trouve dans la Constitution que dans une des institutions de l’Etat, la deuxième institution de l’Etat qu’est le Parlement puisque seul le Règlement intérieur du Parlement (l’Assemblée nationale et peut être le Sénat dans le futur) se trouve soumis à cette procédure d’un contrôle de constitutionnalité préalable à son entrée en vigueur. C’est une disposition qui place même cet Etablissement public au-dessus des autres institutions de la République par la Constitution puisque cette exigence n’existe que pour l’un des pouvoirs de l’Etat (le pouvoir législatif).

Ces dispositions placent cet Etablissement public au-dessus des autres institutions parce qu’elles doivent être mises en place par une loi organique qui doit systématiquement faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité avant promulgation. Mais les Règlements intérieurs des autres institutions ne font pas l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, il n’y a que pour le Parlement et la CVJRR que cela se fait. On a ici un Etablissement public très particulier.

  1.  UNE INSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DU FAIT DE SON RATTACHEMENT  A LA CONSTITUTION

La CVJRR est-elle une Institution de la République, au même titre que la Cour constitutionnelle, l’Autorité nationale des élections, la Haute autorité chargée de la bonne gouvernance, le Haut Conseil de la Communication, le Conseil national de la Médiation… ?

D’une manière générale, le statut d’Etablissement public regroupe les institutions qui sont prévues par la Constitution et les institutions qui sont rattachées à la Constitution et à une garantie constitutionnelle. A ce titre, il y a les institutions qui sont citées par la Constitution compte tenu de leur statut et des éléments de leur régime juridique. Il y a  d’autres qui sont, de fait et de droit, placées sous le signe de la Constitution et qui sont donc rattachées à la Constitution.  La CVJRR se trouve dans cette dernière catégorie : elle est une institution de la République au titre de son rattachement à la Constitution. Ainsi, la loi donne le pouvoir à l’organe délibérant de la CVJRR (la plénière), d’adopter son Règlement intérieur (art. 22) et son entrée en vigueur est conditionnée à un contrôle de constitutionnalité à priori (art. 24).

Pour ce qui est du Projet de Règlement intérieur et compte tenu du délai imparti, le bureau de la CVJRR est donc tenu de le transmettre le plus rapidement possible à la Cour constitutionnelle pour avis, condition indispensable pour son entrée en  vigueur.

A propos de l’auteur de cet article :

Arnaud Yaliki est docteur en droit, licencié en Science politique, il est enseignant-chercheur à l’Université de Bangui et Président de l’Observatoire Centrafricain de Justice Transitionnelle – arnaudyaliki@ymail.com