D’ici le 1er janvier 2023, tous les pays membres de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ne devraient plus exporter du bois en grumes vers l’occident, le Moyen-Orient ou l’Asie. C’est une directive de la Communauté prise en septembre 2020 pour permettre aux entreprises de transformer localement leurs bois. Cette directive sera-t-elle appliquée en République Centrafricaine ? NON. Découvrons ensemble les raisons dans cet article de l’Oubangui Médias.

En effet, la CEMAC estime que les firmes occidentales peuvent soit s’installer dans les pays exportateurs pour transformer localement et permettre à ces pays de tirer réellement profit de leurs bois, soit investir dans les entreprises locales afin de transformer les bois avant l’exportation. Cette mesure, importante qu’elle soit souffre encore en raison des moyens logistiques conséquents pour son application.

Jean-Jacques Urbain Matamalé coordonnateur du Centre de l’Information et de Développement Durable (CIEDD) avait lancé fin novembre des plaidoyers pour l’application de cette directive. Selon lui, il existe plusieurs avantages derrière cette décision, d’abord l’installation des usines de production dans les zones forestières, celle-ci va contribuer énormément au développement sur le plan économique de ces régions. Il y a aussi la formation des jeunes. Celui-ci a cité comme exemple le Gabon qui selon lui a mis en exergue cette décision depuis 2018 et qui aujourd’hui est largement en avance sur les autres pays de la sous-région mais certains pays membres hésitent encore.

L’état des productions des bois en Centrafrique

Selon la législation centrafricaine citée par le Rapport sur l’état du secteur forestier en République Centrafricaine paru en 2021,  70 % de la production doit être transformée localement. Le constat dans ce rapport révèle toutefois que la part des volumes transformés sur le volume total produit a nettement régressé. D’environ 49 % en 2001, le taux de transformation est tombé à 14 % en 2017, pour remonter à 29% en 2021.

Une décision communautaire de la CEMAC du 18 septembre 2020, portant interdiction d’exportation de bois sous forme de grume par tous les pays du bassin du Congo devait être exécutoire à compter du 1er janvier 2022. La décision du Conseil des ministres a prolongé l’exécution pour le 1er janvier 2023. La tendance actuelle rendrait difficile l’exécution de cette décision.

Au total une trentaine d’essences sont transformées, avec environ 68 % du volume total en 2021 représenté par le sapelli. Parmi les six sociétés qui effectuent une transformation en RCA, SEFCA reste la société qui transforme le plus, avec une production annuelle constante depuis 2019, alors que Timberland et Centrabois contribuent à l’augmentation de production observée lors des années récentes.

Selon le rapport sur l’état des forêts en Centrafrique, les exportations de grumes sont passées d’environ 280 000 m³ en début du siècle à environ 240 000 m³ en 2021, avec une augmentation significative ces dernières années, alors que les exportations de sciages sont passées d’environ 73 000 m³ à environ 26 000 m³ pendant la même période.

En termes des pays destinataires du bois centrafricain, depuis 2015, la Chine (39%), le Vietnam, la France et l’Allemagne (19%),  représentent entre 75 % et 90 % des exportations totales de grumes. Le même constat s’applique aussi aux exportations de sciages avec trois sociétés et deux essences représentant la majorité des exportations. En termes des pays destinataires, alors qu’entre 2015 et 2018, la Chine, la France et – dans une moindre mesure – l’Allemagne occupaient les premiers rangs, en 2019 et 2020 les exportations de sciages ont visé principalement la Chine et le Vietnam. L’Allemagne est en revanche devenue le premier pays destinataire en 2021, devant la Chine et la France.

En 2021, selon le ministère des Eaux et Forêts, treize (13) entreprises forestières ont enregistré une production officielle, dont deux sociétés ayant exploité les plantations de teck. Dix-huit permis ont été octroyés pour l’exploitation artisanale. La production annuelle moyenne sur la période 2011-2021 a été d’environ 450 000 m³. Les exportations de grumes et de sciages dans la même période ont été respectivement d’environ 210 000 m³ et 24 000 m³. Le secteur forestier contribue à hauteur de 2,7 % du PIB en 2020 et de 13 % des recettes d’exportation du pays en 2016.

Pourquoi la directive de la CEMAC ne serait-elle pas respectée ?

La directive de la CEMAC est loin d’être respectée par la Centrafrique. Un rapport d’enquête parlementaire datant de juin 2020 révèle davantage les difficultés que rencontrent à la fois la Centrafrique et les sociétés forestières installées dans le pays à pouvoir appliquer ces mesures. Le parlement a mené ses enquêtes conduites par le député Dominique Ephrem Yandocka auprès des sociétés forestières et du gouvernement avant de conclure qu’il faudra une période transitoire d’au moins 4 ans, marquée par des investissements forts et une volonté politique affichée afin que ce pays se mette aux bas des autres, largement en avance comme le Gabon.

En effet, les forêts du bassin du Congo constituent la deuxième plus vaste forêt tropicale de la planète après l’Amazonie et s’étend sur six pays : Cameroun 11%, République Centrafricaine 3,4 %, République du Congo 12,4%, Guinée Equatoriale 1,3%, Gabon 17,7% et République Démocratique du Congo 54,2%.

Dans les pays d’Afrique Centrale, la forme dominante de forêts de production est constituée de la concession forestière. Partant de la faible contribution de la filière bois dans les économies de ces pays, la Banque Africaine de Développement avait identifié l’industrialisation comme défi stratégique.

Le bassin du Congo compte à ce jour 462 concessions forestières couvrant une superficie totale de 53,4 millions d’hectares dont 2,5 millions sont en attente d’attribution. Ce qui est peu et montre l’attractivité de l’activité forestière et industrielle du bois en Afrique Centrale.

Il comprend environ 70 % de la couverture forestière de l’Afrique, présentant une superficie totale de 530 millions d’hectares dont 300 millions sont couverts par des forêts à 99% constituées de forêts primaires ou naturellement régénérées.

L’évolution récente de l’industrie du bois au Gabon à la suite de l’interdiction d’exportation de grumes montre que la « désintégration » de la filière bois apporte plusieurs avantages clefs à savoir : La spécialisation des opérateurs forestiers ; la transformation focalisée ; la commercialisation.

La République Centrafricaine dispose d’atouts multiformes au premier rang desquels figurent les ressources naturelles considérables dont la gestion efficace permettrait de contribuer de manière significative au développement socio-économique du pays.

Cette mesure d’interdiction intervient dans un contexte où les sociétés forestières font face à une baisse de la commande et une chute des prix du bois au niveau mondial conséquemment à la crise sanitaire de COVID – 19. Ainsi, afin d’aborder les contours de cette mesure d’interdiction, notamment sur les aspects liés aux impacts socio– économiques potentiels qu’elle pourrait engendrer, il est nécessaire de scruter d’abord les données liées à la production forestière en Centrafrique, à la capacité de transformation des unités installées ainsi qu’aux évolutions des exportations des bois en grumes et débités au cours de ces cinq dernières années.

C’est ainsi le rapport de la Commission mixte d’enquête parlementaire production, ressources naturelles et environnement /economie, finances et plan a été produit en mai 2022, relatif aux dispositions de la CEMAC à la stratégie d’industrialisation durable dans le bassin du Congo.

Dans ce rapport dont Oubangui Médias a consulté, les sociétés forestières ainsi que le gouvernement affichent une volonté de respecter cette directive. C’est ainsi que Amit Idriss, Ministre des Eaux, Forêts, Chasse et Pêche a souligné que depuis la signature de la Directive en septembre 2020, son Département n’a ménagé aucun effort pour pousser les sociétés forestières à s’y conformer. Il a indiqué que plusieurs séances ont été organisées sur instruction du Chef du gouvernement dont l’objectif consiste à la présentation du plan d’investissement et le schéma d’industrialisation de chaque Permis d’Exploitation et d’Aménagement (PEA).

« Pendant ces réunions, tous les Exploitants forestiers ont émis les vœux de se soumettre à la décision communautaire relative à l’interdiction d’exporter les bois grumes et l’industrialisation à 100% en 2030 par tous les pays du bassin du Congo.  Cependant, la plupart d’entre eux souhaite qu’il soit accordé un délai supplémentaire pour finaliser la mise en place complète de leurs unités de transformation qui sont en cours d’installation », a souligné le ministre dont ses propos ont été rapportés dans ce rapport parlementaire.

Conclusions et recommandations des députés

Aux termes des entretiens eus avec les dirigeants des sociétés forestières et sur la base des constats faits suite aux différentes visites du terrain, la mission parlementaire estime qu’il serait difficile, voire impossible pour la République Centrafricaine de mettre en œuvre la mesure d’interdiction d’exporter les grumes à compter du 1er janvier 2023. En d’autre terme, le pays n’est pas encore prêt pour se conformer aux Directives de la CEMAC en matière de transformation sur place de 100% de la production nationale des grumes d’ici l’échéance (2030) et ce, en dépit du moratoire d’un an qui a été accordé aux sociétés forestières en 2022.

En effet, à l’instar du Gabon dont l’expérience devra servir de modèle aux autres pays du bassin du Congo, la mise en œuvre d’une telle Directive nécessite une approche progressive et surtout un certain nombre des conditions préalables à remplir notamment : des investissements colossaux à réaliser dans le domaine des infrastructures (routes, énergie, eau etc.) et de la formation; l’octroi des mesures incitatives en matière fiscalo-douanière aux entreprises pour l’importation des matériels et pièces détachées ; la mise à niveau des opérateurs existants (investissements dans les nouveaux outils de transformation ou leur réhabilitation) et ; inévitablement l’entrée des nouveaux investisseurs et opérateurs industriels spécialisés dans les différents types de transformation.

En outre, il faudrait être en mesure de sécuriser l’approvisionnement des grumes et à les mobiliser logistiquement jusqu’au site de transformation. Cette capacité doit aussi se concrétiser par les différents contrats et garanties d’approvisionnement sur le long terme afin d’être capable de rassurer, d’attirer et de fournir l’outil industriel de 1ère transformation.

Or, consécutivement aux crises à répétition qu’il a connues, la Centrafrique est largement en retard par rapport aux autres Etats du bassin du Congo. Et nombreux sont les défis qu’il faut relever afin de permettre une bonne application de cette mesure communautaire et une mutation profonde de notre filière bois.

Fort de ce qui précède, la Commission Mixte d’Enquête Parlementaire formule les recommandations ci- après : La Directive de la CEMAC visant l’ interdiction d’exportation des grumes et leur transformation à 100% localement à l’horizon 2030 doit bénéficier de la volonté politique du gouvernement en l’inscrivant dans sa vision et son programme de développement économique et social à court et moyen termes de notre pays. Compte tenu du contexte particulier du pays, le gouvernement puisse solliciter auprès de l’instance communautaire un délai de grâce minimum de quatre (04) ans au lieu du 1er janvier 2023 pour la mise en œuvre de cette directive afin de permettre aux sociétés de finaliser leurs unités de transformation qui sont en cours d’installation.

Selon les informations de l’Oubangui Médias, cette sollicitation serait déjà faite.

La mission exhorte le gouvernement à rechercher auprès des partenaires techniques et financiers le financement nécessaire pour la création d’une zone économique spéciale.

En fait, la Centrafrique va manquer ce rendez-vous communautaire et est appelée à doubler d’effort afin de parvenir à la transformation à 100% d’ici 2030 de ses bois sur le territoire national. Ce qui est sûr, plusieurs défis économiques et logistiques doivent être relevés afin de parvenir à cette mesure qui pourra, à la longue permettre de sauver l’économie centrafricaine.

Fridolin Ngoulou

Sources :

Rapport sur l’état de la forêt en RCA/ https://flegtvpafacility.org/wp-content/uploads/2022/07/Rapport-Etat-du-secteur-foret-bois-en-Republique-Centrafricaine-2021.pdf

Rapport stratégique régional :  https://www.afdb.org/sites/default/files/documents/publications/developpement_integre_et_durable_de_la_filiere_bois_dans_le_bassin_du_congo_-_regional_0.pdf

Rapport parlementaire juin 2022