Les Centrafricains se sont encore donnés rendez-vous du 21 au 27 mars pour le Dialogue Républicain. Le Président de la République a signé le Décret le convoquant au début de la semaine dernière et plus de 450 à 500 délégués sont attendus à ce conclave de Bangui qui exclue les groupes armés.

Après le Forum de Bangui et l’Accord de Khartoum, le peuple centrafricain avait grand espoir que les démons de la guerre allaient quitter le pays qui connaîtrait une stabilité prospère pour son développement. Mais c’est mal ignoré le cœur de l’Homme qui cache toujours des intérêts malveillants et surtout que par mauvaise foi les uns utilisent la force des armes pour conquérir le pouvoir alors que les autres usent la violence et l’intimidation pour le conserver pour leur « goussa ti yanga ».

Ainsi, après les assauts de la CPC jusque dans les faubourgs de Bangui en 2021 mais mis en déroute par les Forces de Défense et de Sécurité nationales appuyées par les rwandais et leurs alliés russes, un dialogue entre le pouvoir et ses contradicteurs politiques a été jugé indispensable pour la réconciliation nationale. Cette idée a été approuvée par la communauté internationale. Après plusieurs médiations de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) sous l’auspice de l’Angola entre Bangui et les opposants politiques et armés, le Président centrafricain, le Professeur Faustin Archange Touadera a finalement choisi un dialogue avec l’opposition politique et la société civile, excluant les politico-militaires. Cette décision a suscité plusieurs réactions de la classe politique et des observateurs de la vie politique.

Quels sont donc les enjeux du Dialogue Républicain ?

Si la République Centrafricaine, ancien Oubangui-Chari a vécu une colonisation difficile, l’espoir d’un développement harmonieux en 1960 a été brisé par une succession de conflits militaro-politiques, des coups d’Etat et une mauvaise gouvernance plaçant ce pays parmi les plus pauvres du monde alors qu’il dispose tout pour son émergence. Quel paradoxe !

C’est donc face à cela que les centrafricains se réuniront pour diagnostiquer les maux qui gangrènent la République Centrafricaine en vue de « restaurer la paix et la sécurité», réconcilier les filles et fils du pays, de penser à un modèle de bonne gouvernance et de développement à travers cinq (05) thématiques : Paix et sécurité, Gouvernance politique, renforcement démocratique et institutionnel et Développement économique et social.

La tenue de ce Dialogue Républicain a aussi un enjeu financier et économique. Les bailleurs de fonds qui soutiennent une grande partie du budget de la RCA ont fait de cela une exigence pour poursuivre leur aide à Bangui.

Mais, un autre « objectif » qui serait caché et décrié par l’opposition politique serait l’ambition du parti au pouvoir et ses alliés de profiter de ce forum pour entériner la modification de la Constitution de la République pour permettre au Président, Faustin Archange Touadera de rempiler un troisième mandant. C’est ce que dénonce l’opposant Joseph Bendounga, qui déplore que le Dialogue Républicain est une « forme de plébiscite du Chef de l’Etat pour modifier la Constitution ». Avis partagé aussi par le Professeur Jean-François Akandji-Kombé qui joint sa voix à Bendounga pour décrier l’exclusion des groupes armés et de certains leaders politiques. Mais le porte-parole de la Présidence, Albert Yaloke Mokpeme, a rétorqué que cette rencontre « débouchera sur des feuilles de routes, des textes de loi ».

L’opposition est dans la logique de boycott de ce dialogue car pour elle, les groupes armés devraient être invités à ces assises.

Remake de l’histoire ?

En 2003, après l’éviction d’Ange Félix Patassé par le Général François Bozizé, le nouvel homme fort de Bangui a organisé le Dialogue Politique Inclusif du 09 au 20 septembre 2003 pour réconcilier les centrafricains et entamer un développement durable. Mais la convocation du dialogue intervenait après l’annonce par la justice centrafricaine d’un mandat d’arrêt international contre le l’ancien Président Patassé, pour « assassinats », « viols », « atteinte à la sûreté de l’Etat » et « détournement de deniers publics » après que le Conseil National de Transition (CNT), organe législatif de transition a voté le 11 août 2003 l’exclusion de Mr Ange Félix Patassé (exilé au Togo) à la participation à ce dialogue. Ses partisans et une grande partie de l’opinion, notamment  le porte-parole de M. Patassé, Prosper Ndouba a considéré cela comme « une manœuvre destinée à empêcher le Président déchu de rentrer à Bangui pour participer au Dialogue national ». C’est sur la base des plaintes de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI) que le CNT avait exclu l’ancien Président Patassé du dialogue. Comme plusieurs acteurs clé de la réconciliation n’ont pas participé au DPI, le pays replongera dans la violence et Bozizé a été obligé d’organiser en 2008 un nouveau dialogue cette fois-ci avec tous les acteurs dont l’ancien Chef d’Etat Patassé.

Aujourd’hui, à la tête de la CPC qui a tenté de renverser Touadera, à son tour, François Bozizé est poursuivi par la justice centrafricaine, idem pour nombreux chefs de guerre et leaders d’opposition politique en exil (Abdou Karim Meckassoua). L’ancien Chef d’Etat dont Touadera a été son Premier ministre a été exclu du Dialogue Politique ainsi que les autres politico-militaires. Cela rappelle aux observateurs de la vie politique, le scénario de 2003. « Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas » certes, cependant qu’en RCA, on oublie que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ».

La RCA est au carrefour de son histoire. Une réelle démocratisation et une réforme de l’Etat semblent possibles si les protagonistes centrafricains arrivent à surmonter les blocages internes du dialogue d’une manière consensuelle et s’abstiennent de recourir à la violence pour accéder au pouvoir ou pour le garder. En même temps la situation sécuritaire reste précaire et la population continue à souffrir pendant que la communauté internationale semble tentée de se désengager de ce conflit au cœur de l’Afrique en faveur de la crise en Ukraine.

Junior Max Endjigbongo