L’insécurité croissante dans l’Est et le nord, le climat politique tendu à l’approche des élections municipales, l’afflux des réfugiés soudanais vers les régions du nord de la Centrafrique, l’issue de la guerre en Ukraine et au Soudan, le Cardinal Dieudonné Nzapalainga, sans langue de bois a échangé avec le journal Oubangui Médias, samedi 27 mai 2023. L’homme de Dieu réitère que seul le dialogue peut mettre fin aux guerres et conflits dans le monde, le cas des conflits armés internes en Centrafrique, au Soudan et l’agression de la Russie en Ukraine. Par ailleurs, le Cardinal lance un appel à la mobilisation générale pour sauver des vies humaines dans l’Est et dans le nord de la Centrafrique.

Oubangui Médias : Bonjour Son Eminence Cardinal Dieudonné Nzapalainga. Depuis quelques mois, la RCA fait face aux violences à l’Est, au Nord et au Nord-Ouest. En tant que représentant de l’église Catholique, quelle lecture faites-vous de ce regain de tensions dans le pays ?

Cardinal Dieu Donné Nzapalainga : Bonjour. Je dis d’emblée que toute vie est sacrée. Je condamne la violence d’où qu’elle vient. La solution à nos problèmes ne se trouvera pas dans les armes et dans les violences. On peut être emporté par la passion, par la colère en prenant les armes mais le frère ou le monsieur que nous venons de tuer va laisser des orphelins, la veuve que nous n’allons pas prendre en charge. C’est une dette morale à l’égard de cette famille.

Donc, je ne suis pas pour la violence, je condamne la violence et je demande à ce que s’il y a un problème, qu’on puisse régler par le dialogue.

La question de la milice Azande à l’Est, ceux qui ont suivi le développement de la crise dans ce pays, peuvent se souvenir de comment est née la milice Anti-Balaka. Quand il y a un vide étatique, qu’il n’y a pas l’autorité de l’Etat et que les groupes rebelles imposent leurs lois, il viendra un jour où les gens diront qu’ils en ont marre. Tout ce que les rebelles viennent prélever, à quoi cela sert ? Finalement, cela peut déclencher la colère des victimes et aboutir aux violences.

Nous demandons souvent à ce que l’Etat joue son rôle régalien. Cela veut dire que les autorités doivent déployer des forces pour sécuriser la population. Cela fait des mois et des moins que nous parlons de ce conflit. Mais nous avons l’impression que c’est un endroit oublié. NON, on ne doit pas oublier une portion de la Centrafrique. C’est parce que les gens voient qu’ils sont oubliés qu’ils tentent de prendre leurs responsabilités. Or, ils ne savent pas comment le faire et cela crée des désordres. Je pense que l’Etat doit retrouver sa place.

Dans tout pays organisé, quand il y a un problème, on assiste à un déploiement rapide des forces conventionnelles ou des médiateurs pour entrer en négociation et chercher des solutions pacifiques. Mais quand cela tarde à venir, la situation s’envenime. La conséquence c’est la destruction, les morts, les souffrances…nous ne voulons pas de ça.

Il est temps, que la communauté nationale et internationale, notamment la Minusca qui est venue nous aider agisse. Si la situation dépasse le gouvernement, qu’il discute avec la Minusca pour circonscrire rapidement les lieux. Une vie sauvée aujourd’hui va protéger des familles demain. Je plaide pour que le gouvernement se saisisse de cette question. La même chose pour Paoua et les autres régions du nord. Nous devons tout faire pour arrêter ces violences-là d’où qu’elles viennent.

Je dis encore, la solution ne se trouveras pas dans les violences mais autour de la table. C’est en cela que nous pouvons construire ce pays sinon c’est l’éternel recommencement avec les violences, les destructions.

Mettons-nous ensemble, sauvons des vies dans l’Est et dans le nord.

Oubangui Médias : Le climat politique reste tendu entre le pouvoir et l’opposition à l’approche des élections locales. Comment faire pour décrisper ce climat et favoriser la tenue de ces élections dans le calme ?

Cardinal Dieu Donné Nzapalainga : Nous avons toujours prôné le dialogue. Pas le dialogue où les gens doivent venir avec le couteau derrière le dos pour poignarder quelqu’un. On doit venir à un dialogue en étant franc, sincère, authentique. Mais le dialogue calculateur nous amène à des impasses. On fait le simulacre de dialogue mais au fonds, on n’aborde pas les vrais problèmes, les gens cherches à placer des intérêts et cela ne fait qu’envenimer, détruire, polluer la politique et la situation sociale.

Les gens doivent aborder les vrais problèmes. Nous sommes des fils de ce pays et nous n’allons pas toujours attendre que les gens de l’extérieur viennent nous apporter la mallette diplomatique, magique pour résoudre nos problèmes. Nous avons aussi quand même des résiliences, la capacité d’analyser, de voire des situations et de faire des propositions pour sortir de cette situation. Est-ce entre nous, nous ne pouvons pas nous dire des choses, se faire des confiances, poser les garants? L’intérêt du peuple, où est- il? C’est mon intérêt ou l’intérêt du peuple ? Ce sont des vraies questions pour nous qui disons que nous sommes des leaders, que ça soit politiques, religieux ou société civile. Que la politique ne soit pas un tremplin pour que les gens s’enrichissent,  sombrent dans la gabegie, la corruption. NON. Tout doit être au service de ce peuple.

Les élections sont des moyens pour pouvoir créer des conditions afin que les uns et les autres soient représentés. C’est au gouvernement  et à l’opposition de définir les conditions pour que de part et d’autre, on aille aux élections de manière apaisée. Si on va aux élections sans ce climat d’apaisement, cela peut être source de tension. Mon rôle c’est de dire aux gens d’arriver à délimiter leurs problèmes, les dépasser, les surmonter voire les assumer et dire qu’est-ce qu’on peut mettre en place pour la réussite de ces élections.

S’il y a des élections en sens unique, des élections monocolores, il pourrait y avoir des répercussions. Si l’opposition ne participe pas aux élections, cela ne favorisera pas un climat de paix. Là, nous sommes en amant des élections, ne peut-on pas discuter et sincèrement ? Dans tous les groupes, il y a des extrémistes qui diront que nous avons assez discuté, je dis qu’on n’arrêtera jamais le dialogue. Le jour où on arrête, les préjugés, les masques vont nous couvrir les yeux et l’on ne pourra plus voir l’autre, collaborer avec lui. Il faut que les masques tombent par le dialogue. Je veux qu’on mette des balises pour que les élections soient acceptées par tout le monde. C’est mon rôle de dire que ceux qui vont dans l’enrêne politique s’entendent, entreprennent un sommet où chacun est libre de se présenter aux élections. Je veux que cela soit véritablement un rendez-vous pour le peuple mais pas un rendez-vous manqué où on vient faire les formalités pour valider un groupe.

Oubangui Médias : Votre plateforme semble-t-il, n’est plus en première ligne pour chercher des solutions aux problèmes que le pays connait. Pourquoi ?

Cardinal Dieu Donné Nzapalainga : Bon, il faut bien lire les choses. Quand il y avait les évènements dans le pays en 2013, il y avait un vide total. Plus de Président, des ministres, mêmes les préfets, les sous-préfets, l’armée, les forces de l’ordre, les enseignants….Chacun sauvait sa vie et la population était livrée à elle-même. Nous, en tant que pasteurs, avions dit, nous avons une alliance avec Dieu et le peuple et il n’est pas question de rester indifférent. C’est pourquoi, nous nous sommes mis ensemble pour aller là où il y avait la guerre partout en province, là où personne ne pouvait aller afin de dire à ceux qui ont pris des armes NON, vous n’avez pas le droit de maltraiter le peuple, de violenter les civils ou bien encore de tuer.

Mais, depuis 2016, il y a eu les élections, l’Etat est là avec les moyens qu’il faut. Donc, nous n’allons pas nous substituer à l’Etat. C’est à l’Etat de s’occuper de la sécurité. Cependant, nous continuons à jouer notre rôle de médiateur pour la paix auprès de toutes les institutions et entités de la République afin de consolider les acquis. Quand les gens partent, les pasteurs restent, les prêtes restent, les Imams restent auprès de la population. Ils restent avec beaucoup de risque. A Mboki, un Abbé a été blessé récemment par balle. Il était resté et chez l’Imam.

Nous continuons à jouer ce rôle. Que personne ne manipule ni instrumentalise la religion en disant que c’est la guerre de religion. NON. Le problème ne se pose pas ici. Les raisons sont ailleurs.

Oubangui Médias : A l’international son Eminence, comment la religion peut-elle contribuer à l’arrêt des conflits entre la Russie et l’Ukraine ?

Cardinal Dieu Donné Nzapalainga : Nous parlons beaucoup des armes, des munitions et d’aviations militaires, mais à quand les gens doivent commencer à parler du dialogue. Nous savons que toute guerre finie autour d’une table des discussions.

Les gens doivent économiser des vies. J’ai partagé l’expérience de la Centrafrique lors de la réunion au Portugal. On peut détruire une maison, reconstruire en peu de temps mais reconstruire le tissu social c’est difficile et cela peut prendre beaucoup de temps.

C’est pourquoi, il est temps d’arrêter, de commencer à discuter. Je me suis demandé, pourquoi des organisations russes, ukrainiennes et européennes ne se retrouveraient-elles pas pour jeter les bases de ce dialogue ? Pourquoi on ne donnera pas la chance à ces organisations de se retrouver, vider leur sac et envisager l’avenir ? J’aurais voulu les voir ensemble pour dire non à la guerre.

Nous nous sommes levés à un moment donné en Centrafrique en tant que leaders religieux pour dépasser les aspects partisans, catégoriels pour voir l’intérêt national, l’être humain. Y-t-il pas de croyants en Europe ? Ukrainiens et russes ne sont-ils pas là pour se lever, prier et se mobiliser pour le dialogue ?

Je demande à ce qu’il ait des ponts de discussions, de dialogue pour projeter l’avenir. Même si aujourd’hui, on considère quelqu’un comme le diable, il est important de se rapprocher de lui. Peut-être qu’il a quelques choses à dire aussi. Voilà la contribution de la RCA à la grande réunion qui a lieu au Portugal dont j’ai pris part.

Oubangui Médias : Et la situation du Soudan voisin, cela préoccupe-t-elle les religieux ?

Cardinal Dieu Donné Nzapalainga : Nous venons d’une réunion en Afrique et nous suivons aussi de prêt le développement de la situation au Soudan avec des répercussions sur le nord de la Centrafrique, l’arrivée des réfugiés. Nous avons voulu que les religieux jouent un rôle au Soudan mais ils n’ont pas l’expérience de la Centrafrique.

Les réfugiés sont arrivés ici chez nous, c’est l’occasion pour moi de lancer l’appel non seulement au gouvernement mais aussi à la communauté internationale de penser à ces gens qui ont tout perdu et qui vivent dans le dénuement. Ce sont des êtres humains.

Nous devons nous mobiliser pour sauver des vies. Tous ceux qui arrivent viennent augmenter le nombre des autochtones. Nous devons les assister pour éviter des sources de tension. Si on ne gère pas les réfugiés c’est la population locale qui va subir les conséquences de la flambée des prix. C’est pourquoi, nous devons aussi assister les populations locales afin d’éviter des tensions.

Avant d’installer les réfugiés, il faut travailler sur la cohésion avec la population locale. Nous devons accueillir, accompagner, soutenir nos frères qui viennent du Soudan car, ce sont les êtres humains. N’oublions pas aussi la population locale qui était déjà dans les situations difficiles.

Oubangui Médias : Son Eminence le Cardinal Dieudonné Nzapalainga, nous vous remercions.

Cardinal Dieu Donné Nzapalainga : C’est à moi de vous remercier

Interview réalisée par Fridolin Ngoulou