Monsieur le Président,

Madame la Ministre des Affaires étrangères, de la Francophonie et des Centrafricains de l’étranger,

Monsieur le Président de la Commission Paix et Sécurité de l’Union Africaine,

Distingués membres du Conseil,

1. Je voudrais à l’entame de mon propos me joindre aux voix du Conseil et à celle du Secrétaire général pour renouveler mes plus sincères condoléances aux familles des Casques bleus victimes d’engins explosifs ainsi qu’au Gouvernement et au peuple du Bangladesh. Je m’incline par la même occasion devant la mémoire de tous les soldats de la paix qui ont sacrifié leur vie dans la mise en œuvre du mandat de la MINUSCA pour le retour de la paix et de la sécurité en République centrafricaine. J’en appelle au Gouvernement centrafricain pour la levée de l’interdiction des vols de nuit. Les vols de nuits sont indispensables pour la sécurité et la sureté des casques bleus, des acteurs humanitaires, de tous les partenaires sur le terrain et des populations aux besoins d’assistance humanitaires énormes. Il me revient de relever que l’interdiction des vols de nuit prive à tous nos pilotes déployés en République centrafricaine du minimum quantum horaire requis pour la préservation de leurs certificats qu’ils ont tous perdus, en conséquence d’une disqualification de fait.

2. J’apprécie le privilège que m’offre ce Conseil de partager avec ses membres mes observations quant aux développements majeurs qui méritent leur attention, quatre mois après notre dernier examen de la situation en République centrafricaine. En effet, l’analyse critique des progrès enregistrés dans la mise en œuvre des priorités stratégiques du mandat multidimensionnel de la MINUSCA est nécessaire sur les quatre volets suivants : (I) les dynamiques politique et sécuritaire ; (II) les moyens de sauvegarder les acquis de la mise en œuvre du mandat de la MINUSCA ; (III) les perspectives de décentralisation du processus politique et de paix, et ; (IV) l’extension de l’autorité de l’Etat pour des solutions politiques durables aux causes profondes du conflit politico-sécuritaire en Centrafrique.

3. Sur le plan sécuritaire, l’appui de la MINUSCA s’est avéré décisif. Tout en prenant l’exacte mesure des menaces et des risques et toujours adossée à son concept d’opérations sans préjudice de la responsabilité principale du Gouvernement, la MINUSCA a en effet joué un rôle primordial pour protéger les populations civiles, et pour faciliter la fourniture de l’aide humanitaire par une posture robuste, préventive et proactive en réponse aux alertes reçues des communautés. Cette posture s’illustre à travers nos Operations qui ont permis de projeter de manière préventive les forces de la MINUSCA au Nord-Est de la République centrafricaine pour y restaurer un environnement propice à la protection des civils, à l’assistance humanitaire, à l’avancement du programme national de DDRR, au fonctionnement de l’administration territoriale, et couper les routes d’approvisionnement des groupes armés, en conséquence. Nous continuerons de soutenir le redéploiement des forces de défense et de sécurité intérieure dans le respect de la politique de diligence voulue en matière de droits de 1’homme.  

4. Nous constatons, tout de même avec préoccupation, que la protection des populations civiles des abus et violences physiques continue de se heurter à la persistance des menaces causées par le regain d’activités de groupes armés dans les localités frontalières du Secteur de l’Ouest de la Centrafrique qui sont les plus affectées par la pose de mines et des engins explosifs dont notre propre Force a été victime en début de ce mois. En ce moment, notre Force est en pleine opération conjointe avec les forces de défense et de sécurité nationales pour enrayer les menaces causées par des groupes armés, protéger les populations, faciliter l’assistance humanitaire et soutenir le programme de DDRR au centre du pays. La résurgence de l’activité des groupes armés et l’utilisation des engins explosifs dans les zones frontalières au Nord-Ouest du pays rendent difficile voire impossible l’accès aux populations dans un besoin crucial et urgent d’assistance humanitaire.

5. Ceci confirme que l’absence d’attaques délibérées et de masse contre les populations civiles durant la période couverte par notre rapport, n’en n’écarte pas moins la prévalence tant que toutes les parties au conflit ne renoncent pas à la violence. Les populations centrafricaines, particulièrement les plus vulnérables continuent de payer le plus lourd tribut au conflit.

6. Il faudra plus que la posture robuste de la MINUSCA et la capacité sécuritaire du Gouvernement pour rétablir, de manière durable, la sécurité sur l’étendue du territoire centrafricain. Il faudra aussi créer les conditions pour une résolution politique de la crise centrafricaine et un renoncement par les groupes armés au recours à l’offensive armée et à la violence pour faire valoir leurs revendications. C’est en cela que la MINUSCA salue l’élaboration et le début de la mise en oeuvre du chronogramme mutualisé de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine (APPR-RCA) et de la feuille de route commune pour la paix en République centrafricaine de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL ), sous la coordination effective du Premier Ministre et Chef du Gouvernement ainsi que le leadership et l’engagement personnel du Chef de l’Etat, des garants et facilitateurs de l’APPR-RCA, ainsi que de l’Angola et du Rwanda pour le compte de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.

7. A présent, nous n’avons plus d’autre alternative que de saisir l’opportunité naissante de transcender le formalisme qui a, par moment, caractérisé le processus de paix pour en faire une réalité perceptible qui mène à des résultats tangibles. Telle est l’ambition affichée par le Gouvernement et l’espoir nourri par tous les partenaires internationaux qui s’investissent dans le soutien à la mise œuvre du chronogramme gouvernemental. A cet égard, j’aimerais relever l’effet multiplicateur que génère déjà le commencement de l’exécution, par le Gouvernement, de ce chronogramme : l’initiation, le 14 septembre 2022, par le Président de la République du dialogue avec les leaders de 11 groupes armés en vue de leur dissolution au titre des engagements politiques de l’APPR et l’ajustement des capacités de réponse aux besoins de désarmement, de démobilisation et réintégration exprimés par certains groupes armés. L’on ne saurait passer sous silence les réformes structurelles relatives à la mise en place, par décret, en date du 28 septembre 2022, du Comite d’intégration des ex-combattants, la reprise des inspections dans le cadre du renforcement du contrôle des forces de défense et de sécurité ainsi que l’adoption d’un code de marquage des armes et munitions pour ne citer que ces quelques développements parmi tant d’autres.

8. C’est ici le lieu de rappeler le consensus établi à travers les réunions de coordination présidées par le Premier Ministre quant à la primauté de la composante politique du chronogramme pour une solution durable à la crise politico-sécuritaire que traverse la Centrafrique et aux coûts et conséquences dévastateurs sur les populations civiles. C’est pour cette raison que nous continuons d’encourager le Gouvernement pour la mise en œuvre de sa stratégie de réengagement des groupes armés liés par la Feuille de Route de Luanda pour l’effectivité du cessez-le-feu, l’abandon de la violence et la finalisation des pourparlers déjà entamés, avec le soutien des mandataires de la CIRGL – l’Angola et le Rwanda – en parfaite harmonie avec l’Union Africaine, et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), avec bien évidement le soutien continu de la MINUSCA en coordination avec les partenaires internationaux.

Monsieur le Président du Conseil,

9. Depuis ma prise de fonction en avril, j’ai entrepris plusieurs rencontres avec les populations (toutes générations et appartenances confondues et de différentes croyances religieuses et traditionnelles), les leaders d’opinion et différentes associations hors de Bangui, dans l’arrière du pays. Des entretiens que j’ai eus avec eux, j’ai été frappée par l’unanimité de leurs attentes et espoir : le retour de la paix et de la sécurité pour tous les Centrafricains et sur toute l’étendue du territoire et la décentralisation tangible des services et opportunités pour une jouissance effective de toutes les populations indépendamment de leurs régions ou communautés d’origine. En d’autres mots, au cœur des attentes des populations demeurent la sécurité et l’inclusion.  Ces demandes et attentes des populations centrafricaines doivent être le leitmotiv de toutes les parties au conflit et la Mission de tous les partenaires du processus de paix en Centrafrique.

10. Le soutien unanime du Conseil est plus que jamais nécessaire pour ne laisser aucune autre alternative aux parties que d’exécuter leurs obligations en vertu de la feuille de route commune et de l’APPR. Il y va de l’intérêt de la paix et de la stabilité compte tenu de la fragilité de la situation sécuritaire qui n’est toujours pas à l’abri d’un basculement soudain. En conséquence tout retard dans l’exécution du volet politique de la Feuille de route conjointe est de nature à compromettre les acquis engrangés et à exposer les populations à de nouveaux risques de violences massives au grès des rapports de forces sur l’immense étendue du territoire centrafricain. Ce chronogramme gouvernemental de mise en œuvre de la feuille de route commune et de l’APPR, si effectivement et entièrement exécuté par le Gouvernement centrafricain, offre les moyens politiques de prévention de la recrudescence de la violence. C’est ici le lieu d’appeler tous les partenaires régionaux et internationaux de la République centrafricaine, les garants et facilitateurs de l’Accord de paix, à apporter de manière coordonnée et en concordance avec tous leurs avantages comparatifs leurs soutiens et contributions à la mise en œuvre du chronogramme, sous la coordination effective du Premier Ministre et la direction stratégique du Président de la République.

11. Les progrès réalisés dans la restauration de l’autorité de l’Etat y compris le redéploiement des forces de défense et de sécurité, et des fonctionnaires, le renforcement du système judiciaire et la promotion des mécanismes de justice transitionnelle comme la Cour Pénale spéciale sont notables et à consolider. A cet égard, je tiens à saluer l’entame du premier procès devant la Cour Pénale spéciale. J’invite le Gouvernent à renouveler le mandat de la Cour et en appelle aux distingués membres du Conseil et autres Etats membres à accroître leur soutien financier en expertise aux investigations judicaires en faveur du fonctionnement effectif de cette Cour qui contribue à briser le cycle de l’impunité, étape fondamentale pour la réintégration sociale des victimes, consubstantielle à la réconciliation nationale.

12. Concernant les violations des droits de l’Homme, outre la publication des rapports périodiques et le rapport annuel mandaté par le Conseil, nous avons établi un cadre référentiel de dialogue constructif et de reddition de compte aussi bien sur le suivi des violations documentées que sur la mise en œuvre des recommandations formulées dans les rapports publics de la MINUSCA et du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Je voudrais ici saluer l’engagement du Gouvernement centrafricain, lors de la 49e session du Conseil des Droits de l’Homme, à s’investir davantage dans le suivi et la mise en œuvre des recommandations des rapports publics et organes de traités. Je renouvelle notre appel au Conseil et aux Etats membres pour la mobilisation du soutien nécessaire au renforcement des mécanismes nationaux de promotion et de protection des droits de l’Homme. Je voudrais dans le même sillage relever avec satisfaction le dialogue de haut-niveau initié par Madame Ilze Brands Kehris, Sous-Secrétaire générale aux droits de l’Homme lors de sa visite au début du mois d’octobre en République centrafricaine.

13. En ce qui concerne la RSS, je salue les efforts du Gouvernement centrafricain pour avancer dans son processus de renforcement des capacités institutionnelles du secteur de la sécurité, essentiel pour protéger sa population. La MINUSCA continuera de soutenir ce processus national, qui nécessite le soutien coordonné et transparent de tous les partenaires de la République centrafricaine. Je tiens à souligner que ces efforts de réforme s’inscrivent également dans les priorités de la feuille de route de Luanda, contribuant à la restauration de l’autorité de l’Etat et la sécurisation des frontières. 

14. Le respect par les institutions et le peuple centrafricain, le Gouvernement et l’opposition, de la décision de la Cour Constitutionnelle en date du 23 septembre 2022 annulant pour leur inconstitutionnalité les décrets portant création, fonctionnement et composition et nomination des membres du Comité de rédaction du projet de constitution ainsi que le retrait dédits décrets incriminés par le Gouvernement sont à saluer. Je salue la maturité des acteurs politiques qui continuent à faire prévaloir la suprématie du droit et encourage aussi bien le Gouvernement que le peuple centrafricain à préserver jalousement cet héritage institutionnel, gage de stabilité politique et symbole de l’ancrage démocratique. En revanche, je ne saurais manquer d’appeler l’attention du Gouvernement sur l’impératif de mettre fin aux manipulations de l’information, la stigmatisation d’institutions et de personnalités y compris l’incitation publique à la violence. Leurs auteurs et instigateurs doivent répondre de leurs actes qui menacent l’équilibre fragile d’une société en quête de cohésion et que diverses vulnérabilités rendent susceptibles à la manipulation.

Monsieur le Président,

Distingués membres du Conseil,

15. L’accalmie constatée dans certaines parties du territoire grâce au redéploiement des forces nationales de défense et de sécurité et à la posture proactive et préventive de la MINUSCA permet une liberté de circulation des populations et un retour accru des personnes déplacées et des réfugiés dans les zones récemment libérées de l’emprise des groupes armés. Cependant, les besoins humanitaires des populations vivant dans ces zones restent alarmants et appellent à la mobilisation continue des partenaires humanitaires.

16. Il est également important de consolider les gains sécuritaires et politiques observés dans certaines de ces zones, par un engagement accru des partenaires de développement. J’appelle en particulier à la remobilisation des partenaires pour soutenir la pérennité des efforts dans le cadre de la réintégration socioéconomique des ex-combattants et de l’extension de l’autorité de l’Etat.  Des solutions durables pour la réinsertion au sein des communautés locales des personnes déplacées et des réfugiés combinées à celles pour la réintégration socioéconomique des ex-combattants seront de nature à renforcer la nouvelle politique de décentralisation en cours d’élaboration et à accroître la contribution des élections locales au processus de démocratisation par l’inclusion et à la réconciliation nationale. Ces élections qui n’ont pas eu lieu depuis 1988 constituent une étape cruciale vers une gouvernance décentralisée, le parachèvement du processus de restauration de l’autorité de l’Etat et une plus grande légitimité des autorités locales auprès des populations qui les auront élus.

Monsieur le Président,

17. A la lumière de ce qui précède, l’espoir de la paix en Centrafrique subsiste et appelle à la poursuite des efforts politiques visant au renoncement à la violence comme moyen de résolution du conflit politique en Centrafrique, et à la poursuite de l’optimisation du mandat de la MINUSCA, à la poursuite du dialogue républicain inclusif avec l’opposition démocratique, au soutien des garants et facilitateurs au processus de paix en Centrafrique ainsi qu’au soutien continu des partenaires régionaux et internationaux.  

18. L’espoir est donc permis et appelle à nos efforts collectifs de médiation entre toutes les parties en conflit pour la primauté d’une solution politique à la crise centrafricaine. En parallèle et complément de l’action politique, la capacité de dissuasion par la mission de tous les acteurs nourrissant des velléités de solutions par l’action violente dans le conflit centrafricain dépendra du soutien effectif et continu du Conseil en maintenant un mandat robuste et flexible ainsi que des ressources et capacités nécessaires à sa mise en œuvre. 

19. J’aimerais pour finir mon propos liminaire, saluer la clairvoyance et la sagesse du Conseil de sécurité qui a su prescrire à la MINUSCA un mandat à la hauteur des enjeux et préoccupations découlant de la situation en République centrafricaine. Le dernier rapport du Secrétaire général témoigne de l’apport incommensurable et de la contribution toujours indispensable du mandat multidimensionnel de la MINUSCA, sur lequel comptent encore les populations, le Gouvernement hôte et la sous-région dans la poursuite de notre quête collective de solutions politiques durables à la crise en République centrafricaine.

Je vous remercie de votre attention.