La République centrafricaine (RCA) est un pays chroniquement fragile. Doté d’impressionnantes ressources naturelles et minérales, le pays a un énorme potentiel, mais piégé dans un système de violence et de capture par les élites au niveau régional et de plus en plus mondial, au dépend d’une  population appauvrie.

La performance de l’économie centrafricaine est directement corrélée à sa situation sécuritaire et à son (in)stabilité politiqueLors de la victoire électorale du président Touadera en 2016, qui a donné de l’espoir au pays et mobilisé la communauté internationale, la RCA a connu une croissance économique régulière contribuant à une  diminution de l’extrême pauvreté.  Avec une croissance moyenne de 4,1 % en 2015-19, la moyenne quinquennale la plus élevée depuis l’indépendance, la performance économique de la RCA semblait être sur une trajectoire durable. La mise en œuvre constante de réformes structurelles, la signature d’un accord de paix entre le gouvernement et les 14 groupes armés en février 2019, des niveaux accrus de commerce extérieur et d’investissements, ainsi que des soutiens massifs de la communauté internationale avaient permis une diminution de l’extrême pauvreté, passant de 73,7 % en 2015 à 70,7 % en 2019.

Lorsqu’à l’approche des élections présidentielles de 2020, le conflit a éclaté et les espoirs d’une première transition pacifique du pouvoir se sont évanouis, le tout en pleine pandémie de COVID-19, les conséquences socioéconomiques étaient prévisibles. Avec la perturbation des chaînes de valeur mondiales et le blocus du corridor vital Bangui-Douala, les biens essentiels se sont raréfiés, affectant directement les prix et les ménages vulnérables. Le revenu par habitant s’est contracté de 1,1 % en 2020 et devrait se contracter de 1,3 % en 2021, faisant basculer plus de Centrafricains dans l’extrême pauvreté et annulant des années de progrès durement gagnés en matière de réduction de la pauvreté.

Dans un pays à la fragilité chronique, la population souffre. La RCA a des scores extrêmement bas sur les indices de capital humain. La productivité est faible et a diminué au cours des trois dernières décennies. Selon les estimations, les enfants nés en 2020 ne réaliseront très probablement que 29 % de leur productivité maximale à l’âge adulte. 

Le sous-investissement persistant dans les secteurs sociaux et la mauvaise prestation de services expliquent le faible niveau de capital humain et les écarts importants dans toutes les composantes de son indice. Près d’un enfant sur 10 ne fête pas son cinquième anniversaire en raison de l’insécurité alimentaire, la malnutrition, le manque d’hygiène et un accès insuffisant à l’eau potable. Selon la dernière évaluation des résultats d’apprentissage, 57 % des élèves de 2e année, 41 % de 3e année et 20 % de 4e année ne pouvaient pas lire un seul mot familier en français en une minute, ce qui signe  de mauvais résultats d’apprentissage. Dans les circonstances actuelles, la croissance du capital humain en RCA devrait passer de 0,6 % en 2020 à 0,15 % en 2050, en raison d’un sous-investissement persistant dans les secteurs sociaux. Ainsi en 2018, les dépenses publiques d’éducation ne représentaient que 1,9 % du PIB et 10,6 % des dépenses publiques totales en RCA, bien inférieures à respectivement 3,1 % et 16 %, dans la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), 4,1 % et 16 % dans d’autres pays de la région touchés par la fragilité, les conflits et la violence et 4,3 % et 18 % en Afrique subsaharienne.
Figure 1. L’accumulation de capital humain est étroitement corrélée à la réduction de la pauvreté.

Source : Calculs des auteurs à partir des données de la Banque mondiale. Note : le niveau de pauvreté correspond au seuil international de 1,90 dollar par jour (PPA de 2011).

La bonne nouvelle cependant est que la RCA a un dividende démographique à exploiter. La part de la population en âge de travailler (15-64 ans) a augmenté au cours des trois dernières décennies, passant de 62,5 % en 1990 à 66 % en 2020. Les enfants en âge d’aller à l’école primaire devraient presque doubler, passant de 0,8 million en 1990 à 1,8 million en 2050. Jusqu’à présent, la RCA n’a pas bénéficié de la croissance de la population en âge de travailler. En fait, la productivité totale des facteurs a été réduite de près de moitié depuis 1990, ce qui signifie que l’augmentation de la population en âge de travailler n’a eu qu’un impact modeste sur les performances économiques. À long terme, la population en âge de travailler atteindra 75 % en 2050. Cette tendance donne au pays environ 35 ans pour tirer pleinement parti de sa population jeune en âge de travailler et de son dividende démographique.

Plus que dans tout autre pays, exploiter le dividende démographique du pays est une nécessité, car les risques négatifs d’une forte croissance démographique sont très élevés. Alors que la jeunesse est l’un des principaux atouts sur lesquels s’appuyer pour tirer parti d’un dividende démographique, une population en âge de travailler en augmentation peut générer des effets négatifs, surtout si elle est combinée à un manque d’opportunités économiques dans un pays tel la RCA. Les jeunes sans emploi sont plus susceptibles d’être recrutés par des groupes armés, car ceux-ci constituent une source  d’emploi et un moyen de se sentir autonomisé. Un ensemble croissant de jeunes chômeurs et analphabètes en âge de travailler peut être dévastateur pour un pays déjà embourbé dans un réseau complexe de fragilité et de violence.

Alors, que faudra-t-il pour saisir ce dividende ? Des réformes audacieuses et des interventions multisectorielles coordonnées dans les secteurs sociaux seront nécessaires. La quatrième édition du rapport sur la situation économique en République centrafricaine, identifie les opportunités et les moyens d’accélérer l’accumulation de capital humain. Voici les six recommandations principales :

1. Relever les défis du développement de la petite enfance pour permettre à tous les Centrafricains de tirer parti d’opportunités futures. La RCA doit investir plus et mieux dans le développement de la petite enfance afin de jeter les bases nécessaires à la prospérité, à la résilience des adultes de demain et à la croissance économique et compétitivité du pays ;  

2. Favoriser l’autonomie des femmes et des filles pour accélérer la transition démographique. La transition de la fécondité fait partie des déterminant des résultats en termes de capital humain. En moyenne, les familles nombreuses investissent moins dans chacun de leurs enfants, signe d’un arbitrage entre quantité et qualité. La RCA doit favoriser l’autonomisation des femmes et des filles pour accélérer la transition démographique en maintenant les filles à l’école, en luttant contre les mariages et les grossesses précoces, en améliorant l’accès à la planification familiale et réduisant la mortalité infantile ;  

3. Mettre l’accent sur une prestation de services efficace et inclusive pour réduire les disparités régionales et désamorcer les motifs de mécontentement nés des crises passées. Avec l’objectif primordial de soutenir un déploiement plus efficace des travailleurs du secteur social à travers le pays, la RCA aurait besoin à long terme de favoriser le recrutement et la formation des travailleurs du secteur social dans les zones où les conditions de sécurité le permettent, d’améliorer les conditions d’éducation et les établissements de santé tout en transformant et élargissant la capacité des instituts de formation dans les provinces pour permettre un recrutement décentralisé de travailleurs sociaux. Le gouvernement finance les salaires d’environ 37% des enseignants du primaire public, tandis que les ménages paient ceux des enseignants communautaires. À court et moyen terme, il est urgent que le gouvernement exploite le potentiel des enseignants communautaires avec une formation appropriée, en investissant pour les rendre plus performants.  

4. Adopter des politiques adéquates pour minimiser et éventuellement inverser les effets néfastes des conflits récurrents sur l’apprentissage. Malgré des périodes successives de fermeture d’écoles en période de crise (par exemple, un conflit armé ou une pandémie telle que la COVID-19), il n’y a toujours pas de mécanismes clairs pour atténuer et remédier à la perte d’éducation. Les priorités pour gérer la continuité de l’éducation immédiatement après un conflit ou une pandémie consistent à s’assurer que tous les élèves ont la possibilité de reprendre leurs études, à fournir des incitations pour maximiser la réinscription et à soutenir les enseignants grâce à des directives claires sur la hiérarchisation des programmes ainsi qu’à évaluer des lacunes dans l’apprentissage, identifier et soutenir des élèves à risque ;  

5. Renforcer la gouvernance et les institutions dans les secteurs du capital humain tout en améliorant la coordination entre les partenaires techniques et financiers. Les autorités doivent améliorer la gestion des secteurs sociaux, celle-ci étant trop faible et centralisée pour être efficace dans un pays vaste et peuplé de façon disparate. La prolifération des ministères et des structures administratives centrales a entraîné une duplication des rôles, avec des ressources humaines qualifiées limitées. Les partenaires humanitaires et de développement de leur côté doivent s’engager à respecter et à se coordonner avec les politiques et stratégies gouvernementales et  

6. Sécuriser les recettes intérieures pour libérer l’espace budgétaire et la capacité du gouvernement à investir dans le capital humain. La RCA ne pourra pas investir dans le capital humain sans renforcer durablement la mobilisation des recettes domestiques. A court terme, le gouvernement peut augmenter les recettes en réduisant les exonérations fiscales, en surveillant de près les dépenses fiscales et en les alignant sur une stratégie de développement.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour un pays aux prises avec des urgences sécuritaires récurrentes et pris dans une dynamique géopolitique destructrice, le moment est venu d’investir dans le capital humain.  Investir maintenant dans le capital humain avec l’objectif de créer des opportunités économiques pour les jeunes dans dix à vingt ans pourrait être la promesse d’extraire le pays de sa fragilité chronique. Ne pas le faire poussera de plus en plus de jeunes vers l’alternative « facile » offerte par les groupes armés. Faire pencher cet équilibre dans la bonne direction est au cœur de l’engagement de la Banque mondiale en République centrafricaine. 

Banque Mondiale