REQUETE AFIN DE CONSTAT DE L’IMPOSSIBILITE DE L’ORGANISATION D’UNE   REVISION OU D’UN REFERENDUM CONSTITUTIONNEL

MADAME LE PRESIDENT ET MESDAMES ET MESSIEURS LES JUGES COMPOSANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE

BANGUI

Monsieur Crépin MBOLI-GOUMBA, Avocat à la Cour, Président du PATRIE, né le 23 mars 1971, à Bangassou, demeurant à Bangui, aux 17 Villas, Téléphone +236 70021212, adresse électronique : mcmboli@yahoo.com

A L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER

DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Attendu que depuis plusieurs mois, des associations proches du pouvoir organisent des manifestations dans la ville de Bangui, afin de demander la révision de la Constitution du 30 mars 2016 ; Qu’il y a quelques jours, des fonctionnaires de l’Etat (Préfets et Sous-préfets) dans les différentes villes de l’intérieur du pays ont utilisé l’argent public et l’intimidation pour contraindre certains citoyens à manifester pour exprimer leur volonté d’organisation un référendum constitutionnel, soulignant de ce fait une évolution dans la stratégie du Gouvernement ;

Que le 12 Aout 2022, au soir, lors de son allocution à la Nation, à l’occasion de la commémoration de l’indépendance nationale, le Président de la République s’est fait l’écho de ces manifestations, réaffirmant sa volonté de veiller au respect de la Constitution en même temps qu’il s’est dit disposé à faire étudier la question par son gouvernement ;

Que le 17 Août 2022, le Ministre Chargé du Secrétariat Général du Gouvernement a rendu compte de la décision de l’exécutif, de donner une suite positive aux « sollicitations du Peuple » et de l’Assemblée Nationale à travers la correspondance de son Président, Mathieu Simplice Sarandji, demandant la mise en place d’une Assemblée Constituante ;

Que cependant, les conditions d’un référendum constitutionnel ne sont pas remplies, de même, le projet porte des dispositions anticonstitutionnelles, au regard de la Constitution du 30 mars 2016, telles que nous le démontrerons ;

 DE LA RECEVABILITE ET DE LA COMPETENCE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Attendu qu’aux termes de l’article 95 tiret 8 de la Constitution du 30 mars 2016 « La Cour Constitutionnelle est chargée d’interpréter la Constitution »

Que la loi Organique n°17.004 du 15 Février 2017 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle confirme la compétence de la Cour en matière d’interprétation de la Constitution;

Que de plus, l’article 235 du Code électoral de la République Centrafricaine stipule que « la décision du Président de la République de soumettre au référendum, conformément à l’article 41 de la Constitution, un projet de loi ou, avant sa promulgation, une loi votée par le parlement, peut faire l’objet d’un recours devant la Cour Constitutionnelle, dans les cinq jours suivant l’annonce de la décision »;

Que le deuxième alinéa du même article précise que le recours appartient aux partis, associations et groupements politiques, ainsi qu’à tout citoyen »

Qu’or, le 17 août dernier, le Ministre Chargé du Secrétariat Général du Gouvernement, en faisant le compte-rendu du Conseil des Ministres, a informé la nation de la décision du Président de la République et de son Gouvernement, d’accepter la proposition faite par le Président de l’Assemblée Nationale, de voir le Gouvernement « nommer » une Assemblée Constituante afin de rédiger le texte d’une nouvelle Constitution à soumettre au Peuple Centrafricain par voie référendaire ;

Que la déclaration du Ministre Chargé du Secrétariat Général du Gouvernement donnait suite à la promesse faite par le Président de la République, lors de son adresse à la nation, le 12 Août 2022, la veille de la commémoration de l’indépendance nationale, par laquelle il affirmait confier à son Gouvernement le soin de répondre aux sollicitations du Peuple ;

Que la requête ayant été introduite par un citoyen Centrafricain, dans le délai de cinq jours est conforme aux exigences de l’article 235 du Code Electoral Centrafricain, il y a lieu de la déclarer recevable et entrant dans le domaine de compétence de la Cour Constitutionnelle

DE L’IMPOSSIBILITE D’UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE OU DE L’ORGANISATION D’UN REFERENDUM CONSTITUTIONNEL AU REGARD DE LA CONSTITUTION DU 30 MARS 2016

L’IMPOSSIBILITE TIREE DE L’ARTICLE 63 et 65

Attendu qu’aux termes de l’article 63 « le pouvoir législatif est exercé par un Parlement qui comprend deux chambres,  l’Assemblée nationale et le Sénat » ;

Que l’article 65 stipule que « les deux chambres du Parlement peuvent se réunir en congrès, à la demande du Président de la République pour entendre une communication ou recevoir un message du Président de la République ou encore se prononcer sur un projet ou une proposition de révision constitutionnelle »

 Qu’à ce jour, le Sénat n’a pas été mis en place ; Que certes, aux termes de l’article 156, en attendant la mise en place du Sénat, l’Assemblée Nationale dispose de la totalité du pouvoir législatif ;

Que ce pouvoir législatif n’est pas à confondre avec le pouvoir Constituant, les deux Chambres composant le Parlement se réunissant en Congrès dans leur formation de Pouvoir Constituant ;

Que cela s’entend, dans la mesure où le parlement, réuni en Congrès, a le pouvoir de réviser la Constitution dans ses dispositions révisables,  sans passer par le référendum, à la majorité des ¾ des membres qui le composent, tel que prévu à l’article 152 ;

Qu’il s’agit d’un verrou, le risque étant grand de confier à une seule Assemblée la possibilité de réviser la Constitution ;

Qu’il y a donc lieu de constater que le Parlement composé des deux chambres prévues par la Constitution n’étant pas complète, l’Assemblée Nationale seule, autorisée à disposer de la totalité du pouvoir législatif, ne peut se réunir seule et être considérée comme étant en Congrès, sans le Sénat, condition sine qua non pour permettre au Parlement, de se prononcer sur les projets et propositions de lois constitutionnels;

DE L’IMPOSSIBILITE TIREE DE L’ARTICLE 152

Aux termes de l’article 152, dernier alinéa «  Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en cas de vacance de la Présidence de la République ou lorsqu’il est porté atteinte à l’unité et à l’intégrité du territoire » ;

Que cette stipulation s’établit dans une tradition constitutionnelle solidement implantée depuis plus de quarante ans en République Centrafricaine ;

Qu’en effet, aux termes de l’article 59 de la Constitution de l’Empire Centrafricain du 4 décembre 1976 « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale »

Que la Constitution du 28 novembre 1986 ne déroge pas à la règle, en précisant en son article 50 paragraphe 3 qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en cas de vacance de la Présidence de la République ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire »

Que la Constitution du 14 janvier 1995 en son article 101, dernier paragraphe, renforce cette tradition, en formulant qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en cas de vacance de la Présidence de la République ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire »

Qu’il en est de même de la Constitution du 27 décembre 2004, en son article 107, dernier paragraphe, qui précise qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en cas de vacance de la présidence de la République ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire »

Qu’ainsi libellé, l’article 152 de la Constitution du 30 mars 2016, en confirmant la tradition des conditions d’exclusion de la révision de la Constitution, les a élargies, en intégrant l’atteinte à l’unité nationale ;

Attendu que l’atteinte à l’unité nationale renvoie sans ambiguïtés à des faits et des actes qui sapent les fondements même du vivre-ensemble, notamment les discriminations, les assassinats  d’un groupe ethnique ou religieux à l’encontre d’un autre faisant partie de la communauté nationale ;

Que cela peut également se traduire par la destruction délibérée d’habitations ainsi que des lieux de culte ;

Que cela peut avoir comme conséquence des déplacements massifs de la population, cherchant à trouver refuge plus loin, laissant parfois place à des nettoyages ethniques ou religieux ;

Qu’il est établi qu’en République Centrafricaine, depuis 2013, les fondements de la communauté nationale ont été ébranlés sur une base notamment religieuse ;

Que certaines localités de la RCA ont été vidées de toute présence musulmane, comme Bossangoa ;

Qu’il y a encore quelques semaines, des compatriotes de confession religieuse musulmane, Peulhs, ont été assassinés par dizaines, entrainant des représailles de la rébellion UPC, composée presqu’exclusivement de Peulhs ;

Que déjà, dans sa Résolution 2149, adoptée le 10 avril 2014, le Conseil de Sécurité des Nations Unies se disait « gravement préoccupé des violations généralisées des droits de l’homme et exactions, notamment les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les attaques dirigées contre des civils, y compris à l’encontre des musulmans mais non limité à ces derniers et contre les lieux de culte… Il y a des personnes déplacées et des réfugiés dans les pays voisins, dont le nombre dépasse respectivement 760 000 et 300 000 et qui sont pour une grande part de confession musulmane »

Que dans sa déclaration devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies du 22 Juin 2022, la Cheffe de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en République Centrafricaine, Mme Valentine Rugwabiza, a également énuméré des faits qui portent atteinte à l’unité nationale, notamment la stigmatisation et l’incitation publique à la violence contre les leaders de l’opposition ;

Que c’est notamment le cas de Sieur Kossimatchi, Secrétaire à la mobilisation du MCU, parti au pouvoir, lequel appelle quasi quotidiennement au meurtre des leaders de l’opposition démocratique, les désignant nommément ; 

Qu’il y a clairement atteinte à l’unité nationale, au sens de l’article 152 de la Constitution centrafricaine du 30 mars 2016 ;

Que l’atteinte à l’intégrité du territoire peut s’entendre des attaques sporadiques ou l’occupation du territoire national par un Etat étranger ou par des groupes armés, ayant pour objectifs d’établir une autorité parallèle à celle de l’Etat, de soumettre la population par la terreur, de piller les ressources du pays ou d’annexer une partie de ce territoire ;

Que depuis 2013, la République Centrafrique est en guerre, avec des groupes armés ayant pour objectif de prendre le pouvoir ; 

Que la seule existence de la MINUSCA est la preuve de cette situation ; 

Que le 15 décembre 2020, une coalition rebelle composée de six groupes a été, créée, sous l’appellation de CPC (Coalition des Patriotes pour le Changement) ;

Qu’en Janvier 2021, la CPC a lancé une offensive qui atteint Bangui, la Capitale, offensive repoussée par les Forces armées Centrafricaines, avec l’aide des paramilitaires russes appelés WAGNER ;

Que depuis lors, une situation de conflits armés s’est installée, avec son lit de déstabilisation et de morts ;

Que le Président Touadera, dans un discours à la nation du 31 décembre 2020, a déclaré que la République Centrafricaine était en guerre ;

Que d’ailleurs, c’est parce que le pays est en guerre, que le Président Touadera a fait une déclaration unilatérale de cessez-le-feu le 15 Octobre 2021 ;

Que des mesures d’état d’urgence et le maintien du cessez-le feu reflètent cette situation, avec également la décision du Préfet de la Vakaga le 23 juillet 2022 d’instaurer un couvre-feu de 20H à 4h du matin, face aux informations d’attaques imminentes de la ville par les rebelles ;

Que des dizaines d’éléments des FACA et des rebelles ont été tués il y a quelques jours à Nzako et Dimbi, ces villes passant alternativement sous le contrôle de l’armée nationale et des rebelles ;

Que le 23 Juin 2022, une attaque des combattants de la CPC a ciblé Bakouma, à 780 kilomètres de Bangui, avec comme bilan six rebelles et un civil tué ;

Que ces faits irréfutables énoncés établissent indiscutablement une situation d’atteinte à l’intégrité du territoire telle que formulée à l’article 152 de la Constitution du 30 mars 2016 ;

DE L’IMPOSSIBILITE TIREE DES PROPOSITIONS ANTICONSTITUTIONNELLES

Attendu que les Constituants Centrafricains ont établi les conditions dans lesquelles la Constitution peut être modifiée ;

Qu’ils ont également établi les circonstances dont l’occurrence empêche toute révision, en même temps qu’ils ont énuméré les domaines dans lesquels aucune révision n’est possible ;

Que c’est ainsi qu’aux termes de l’article 35 alinéa 2 « en aucun cas le Président de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ou le proroger pour quelque motif que ce soit »

Que de même l’article 153, stipule de manière péremptoire que « sont expressément exclus de la révision : la forme républicaine de l’Etat, le nombre et la durée des mandats présidentiels, les conditions d’éligibilité, les incompatibilités aux fonctions de Président de la République, les droits fondamentaux du citoyen, les dispositions du présent article »

Qu’or, le 20 Août 2022, lors de l’émission PATARA de la radio Ndeke Luka, l’initiateur du projet, le député de la Nation, Monsieur Kakpayen, a clairement indiqué qu’ils entendaient modifier les dispositions de l’article 35 de la Constitution pour rendre le mandat du Président de la République indéfiniment renouvelable ;

Que de même, Monsieur Kakpayen a affirmé qu’ils entendaient revenir sur les conditions d’éligibilité, en excluant les binationaux de la course à l’élection présidentielle ;

Qu’il importe de rappeler que les dispositions visées clairement par Sieur relèvent de celles exclues de la révision ;

Qu’il s’agit donc d’une proposition contraire à la Constitution du 30 mars 2016 ;

Que tout projet de révision ou d’écriture d’une nouvelle Constitution soumise à référendum doit être conforme à la lettre de la Constitution du 30 mars 2016, elle-même inspirée des résolutions du Forum de Bangui, expression du souverain primaire ;

Qu’en effet, aux dires même du Président de la République, la RCA est en guerre ;

Qu’il n’a pas encore, à ce jour, déclaré la fin de cette guerre, par une victoire ;

Que tous les jours, des macabres nouvelles viennent nous rappeler la vérité de cette déclaration présidentielle, corroborée par la présence des paramilitaires russes sur le terrain ;

Qu’or, même une situation d’atteinte à l’unité nationale eut suffi pour satisfaire aux exigences de l’article 152 précité ;

Qu’en conséquence, les conditions prévues par l’article 152 sont réunies pour exclure toute possibilité de référendum tendant à réviser la Constitution ou à adopter une nouvelle Constitution ;

Qu’en effet, l’organisation d’un référendum, quel qu’il soit, est encadré par la Constitution du 30 mars 2016

Que cette Constitution n’autorise aucunement  l’organisation d’un référendum lorsqu’il y a atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité du territoire, ce qui est clairement le cas actuellement ; Qu’il convient donc de constater cette situation ;

PAR CES MOTIFS

Vu l’article 95 tiret 8 de la Constitution du 30 mars 2016 et l’article 235 du Code électoral de la République Centrafricaine, déclarer la requête recevable ; Constater que les conditions d’exclusion de l’organisation d’un référendum telles que prévues à l’article 152 dernier alinéa de la Constitution sont réunies

Dire que le projet de référendum constitutionnel est contraire à la Constitution du 30 mars 2016 en ce qu’il entend remettre en cause les dispositions exclues de la révision prévus aux articles 35 et 153 de la Constitution

Sous toutes réserves de droit

Bangui le 22 août 2022

Maître Crépin MBOLI-GOUMBA