Dialogue Républicain, situation économique du pays, les prochaines municipales et l’attaque russe contre l’Ukraine, Martin Ziguele, ancien Premier ministre, député et président du Mouvement de Libération du peuple Centrafricain (MLPC) s’est livré à Oubangui Médias. L’homme politique déclare que le prochain dialogue Républicain, même s’il souhaite la participation des représentants des groupes armés, doit être une occasion de tourner la page à l’instabilité sécuritaire pour ouvrir celle du développement.

Oubangui Médias : Martin Ziguele Bonjour

Martin Ziguelé: Bonjour les journalistes!

Oubangui Médias : D’ici la fin de ce mois, le pays organisera un dialogue républicain, quelle est votre lecture face à ce dialogue ?

Martin Ziguelé : Je vous remercie, je voudrais d’abord rappeler que le dialogue en démocratie est une obligation sociale et politique.  En effet, depuis le séminaire national de 1981, le problème des centrafricains doit être discuté et résolu par le dialogue. Il est normal car face à la montée de la crise sécuritaire, la situation économique est difficile suite aux crises que nous avons connues et qui ont eu un retentissement sur les structures sociales. Il était indispensable qu’en dehors du dialogue permanent qui se passe à l’assemblée nationale entre les partis politiques représentés à l’assemblée, qu’il y ait des foras qui regroupent des centrafricains. Donc, par ma position je pense que les compatriotes qui disent qu’il y a trop de dialogue, moi je suis d’un avis contraire. Je pense que le dialogue doit être permanant, nous sommes tous les fils et filles de ce pays et il est normal que nos problèmes soient partagés, et discutés autour de la table.

Oubangui Médias : Le dialogue républicain exclus les groupes armés qui doivent continuer leurs pourparlers dans l’APPRR et la feuille de route de Luanda. Selon vous est-ce une bonne décision prise par les autorités du pays ?

Martin Ziguelé : Je vous réponds comme un citoyen, comme un député et comme le président d’un parti politique qui a vécu un certain nombre d’expériences politique dans ce pays.  Le problème que nous nous posons est celui des résultats du dialogue. Qu’est-ce que nous attendons évidemment ? Nous attendons la fin de l’instabilité armée dans notre pays. C’est ce que tous les centrafricains attendent.

Les centrafricains ne veulent plus entendre parler des groupes armés. Ils veulent la libre circulation des biens et des personnes dans tout l’espace de leur propre pays. Les centrafricains veulent que le monopole de l’armée comme dans toute République, dans tout Etat de droit revienne exclusivement à l’Etat.  Notre position de principe est qu’au sortir de ce dialogue, nous devons parvenir à la paix. Pour ce faire, nous devons avoir les représentants de ces groupes, parce que le dialogue se fait entre les centrafricains faut le préciser.

Nous craignons qu’aussi que si le dialogue n’inclut pas les représentants des groupes armés, nous nous retrouvons exactement dans la même situation de l’accord de Khartoum qui s’est fait exclusivement avec les groupes armés et après les politique, la société civile, les forces civiles ne se sont pas concernées ni engagées. 

L’APPR aujourd’hui est une coquille vide. Entre l’APPR et la feuille de route de Luanda, c’est le flou total. Or,  nous en tant que force politique, lorsqu’on ira au dialogue, après la question nous sera posée et il faut qu’on soit capable d’expliquer si par malheur la paix ne revenait. Donc, c’est un devoir d’organisation de rôle et de responsabilité pour ne pas qu’après on se rend compte que rien n’a fondamentalement changé quant à la préoccupation essentielle des centrafricains relatives à la paix. 

Je suis surpris que les uns les autres critiquent les partis politiques  qui demandent l’inclusivité. Au contraire, comment peut-on dénoncer l’exclusivité de l’accord de Khartoum et accepter l’exclusivité de ce dialogue républicain ? C’est une question de cohérence dans la démarche politique par rapport au résultat que nous attendions c’est-à-dire le retour définitif de la paix.

Oubangui Médias : Mais si le gouvernement maintient sa position de mettre toujours les groupes armés à l’écart, quelle sera la position de l’opposition ?

Martin Ziguelé: Le gouvernement n’a pas de position à maintenir, la souveraineté appartient aux centrafricains et c’est aux centrafricains de juger. C’est une question de méthodologie et du caractère pertinent de démarche. Dans le cas de la feuille de route de Luanda ou dans le cas de l’APPR, des problèmes sont enregistrés, des résultats fouinés. Que ces résultats soient reversés dans le dialogue politique pour l’appréciation et le jugement des centrafricains parce qu’il n’y a pas d’un pas d’un côté le parti politique et d’un côté le gouvernement. Ce n’est pas à ces deux entités qu’appartienne la République, mais aux centrafricains qui  veulent la paix et le développement. La question est de s’assurer que tout a été mis en œuvre pour qu’en sortant de là, il n’y ait plus de débats sur la question sécuritaire.

Oubangui Médias : vous en tant que président d’un parti politique, quelles sont vos attentes à la fin de ce dialogue?

Martin Ziguelé : Mes attentes sont celles de la population. Je le dis encore pour une fois, la République n’appartient pas à ceux qui nous gouvernent parce que c’est nous  qui avions donné une part de notre souveraineté à ceux qui nous gouvernent. Les partis politiques concourent à l’animation de la vie nationale.  La RCA n’appartient pas aux partis politiques mais à l’ensemble des centrafricains. Est-ce que les objectifs de paix, de sécurité et de réconciliation nationale ont été atteints ? Nous ne sommes pas à la position des procureurs pour juger quelqu’un.

Nous sommes dans la situation d’un membre d’une famille dans laquelle quelque chose est déjà arrivée et nous exigeons que les conditions soient réunies pour qu’en sortant de là, on tourne la page de l’instabilité et on ouvre une autre page qui est celle du développement de notre pays.  Il y a 5 millions de centrafricains qui veulent vivre leur vie correctement. Qu’il y ait la paix, le respect de droit de l’Homme et la gouvernance efficace pour combattre le chômage des jeunes, construire des routes, des écoles, des centres de santé. Il ne faut pas qu’un seul arbre cache la forêt, la question fondamentale n’est pas de savoir en réalité qui vient au dialogue, mais de savoir avec qui nous devons prendre tous les engagements pour que la paix reviennent dans notre pays. 

Oubangui Médias : Le pays traverses des moments de sècheresse économique depuis la suspension des aides budgétaires par certains partenaires. Vous en tant qu’économiste, êtes-vous inquiets de l’avenir de ce pays sans ces appuis budgétaires ?

Martin Ziguelé : Mais je voudrais d’abord rappeler qu’en novembre 2016, je faisais partis avec d’autres responsables politiques de la délégation centrafricaine qui a accompagné notre gouvernement à Bruxelles pour dire à la face du monde entier que nous avons désormais décidé de tourner la page à l’instabilité et de la division et qu’unis, nous venons devant la communauté internationale leur demander de nous donner les moyens pour construire notre pays.

C’est au nom du peuple centrafricain que cette démarche a été faite.  Nous avons été aidé au-delà de ce que nous espérions  et pendant les cinq années de cette mandature où moi-même j’étais présent à la commission de finance comme député, nous avons eu un grand concours de la communauté internationale, la Banque mondiale s’est réengagée dans notre pays, parce que notre pays était orphelin de l’aide. Je vous rappelle que quand j’étais Premier ministre, il n’y avait qu’un seul projet de la Banque mondiale en activité et c’était le projet de lutte contre le VIH/SIDA.  Aujourd’hui, nous allons vers les vingt projets de la Banque mondiale avec un financement cumulé de près de 420 milliards de francs CFA.

Oubangui Médias : Alors doit-on perdre espoir ou s’inquiéter ?

Martin Ziguelé : Il ne faut jamais perdre espoir pour le pays. Et même ce qui nous arrive est une leçon. C’est comme quelqu’un qui conduit un véhicule, on lui met  un panneau «  rouler à moins de 30 km » mais il roule à 100 km à l’heure. Malheureusement il fait un accident. Mais si Dieu fait grâce qu’il garde la vie, la prochaine fois qu’il verra un panneau, il va respecter ce panneau. Donc nous travaillons toujours pour que notre pays soit debout.

J’ai toujours dit qu’il y a deux sujets sur lesquels il ne doit pas y avoir de débats politiques et de polémiques en Centrafrique : la question de la sécurité et celle de l’économie. Pourquoi la sécurité ? Parce que la sécurité, c’est la vie de nos compatriotes.  On ne peut pas se dire homme politique et être indifférent à la vie des compatriotes qui tombent du fait de l’insécurité.

Sur le plan économique, notre pays est le dernier au niveau de la CEMAC. Il y a trois ou quatre ans, le PIB de la RCA représentait 4% de celui de la CEMAC. Cette année, nous sommes à 2,4%. Nous devons être comme des archers sur le mur de Jéricho, continuons à crier, à élever la voix pour que les uns les autres comprennent que nous avons fait fausse route.

Oubangui Médias : Alors que le pays traverse une crise financière, des soupçons de détournement se font enregistrés dans certaines administrations du pays. Quelle est votre réaction face à ce crime économique ?

Martin Ziguelé : Lorsque j’étais Premier ministre avec la majorité des ministres du MLPC, cela n’a pas empêché de lancer l’opération « Main propre » avec l’aide de la justice. Et alors que nous n’avions pas un seul centime d’aide budgétaire extérieur, j’ai payé les salaires tous les mois pendant les deux ans avec l’argent que nous avons empêché les uns et les autres de détourner en luttant efficacement contre la corruption.

Cette opération a permis de savoir que nous pouvons avoir ce qu’il faut pour faire avancer l’administration de notre pays. Aujourd’hui, la marge du manœuvre est plus grande puisque du fait de principe de la frangibilité du budget, il y a certaines dépenses de l’Etat qui sont prises en charge par l’aide extérieure. Si la corruption était moindre ou efficacement combattue nous aurions les moyens d’envisager d’autres dépenses au profit de notre population. Le problème de la corruption est comme le problème du cancer de sang, cela tue! Le problème de la corruption n’est pas seulement le problème du gouvernement, des députés mais de tous les centrafricains.

Oubangui Médias : Le pays amorce une autre phase d’organisation des élections municipales. Comment préparez-vous à ce grand rendez-vous démocratique ?

Martin Ziguelé : Les élections municipales sont des vraies élections parce que la population va choisir directement ceux qui doivent diriger ou gérer leur communauté. La délégation du pouvoir est au niveau local. Ce sont des élections d’une très grande importance. Mais comme d’habitude, nous mettons la charrue avant les bœufs, c’est pourquoi elles viennent après les élections présidentielles.

Pourquoi depuis 2005, les élections sont toujours contestées en Centrafrique? Pourquoi après les élections de 2020 nous n’avons pas eu de procès-verbaux des résultats ? Je suis incapable de vous dire quel est mon résultat parce qu’aucun de nos représentants n’a reçu les procès-verbaux de dépouillement. Toutes ces carences qui sont liées au traitement même du contentieux électoral ont engendré quand-même des situations assez inquiétantes sur le plan de droit et de l’équité. Conjointement avec tous ceux qui participent à l’organisation de ces élections, toutes les parties prenantes au processus électoral doivent arrêter ce qu’il faut arrêter, corriger ce qu’il faut corriger pour préparer sereinement ces municipales sinon cela sera la reproduction des mêmes erreurs.

Oubangui Médias : Le monde est suspendu aujourd’hui à la guerre que la Russie, alliée de la Centrafrique a lancé contre l’Ukraine. Quelle est votre position ?

Martin Ziguelé : La RCA devrait condamner l’agression contre l’Ukraine. Qu’est-ce que nous vivons depuis plusieurs années dans ce pays? Nous subissons l’agression des groupes armés constitués des étrangers vénus de l’étranger et auxquels ont joint un certain nombre de nos compatriotes et le résultat est ce que nous vivons aujourd’hui. Il y a des positions de principes en droit. On n’agresse pas impudemment quelqu’un sinon la loi n’existerait pas et ce serait la loi de la jungle.

Sur le plan politique, nous ne pouvons pas condamner cette agression. Mais je m’empresse de dire que dans cette affaire où la Russie est l’agresseur et l’Ukraine l’agressée, il ne faut pas oublier qu’avec l’aval de l’Assemblée Générale des Nations Unies,  de son Conseil de Sécurité, la Libye a été agressée. Mohammad Kadhafi a été renversé. Cela a ouvert les vagues d’une prolifération des armes dans tout le Sahel et c’est de la suite de cette situation que l’Afrique souffre aujourd’hui des multiples cas de coups d’État. La condamnation ou l’indignation ne doit pas être sélective. Nous condamnons l’agression de l’Ukraine comme hier nous avons condamné l’agression de la Libye. Il n’y a pas deux droits internationaux mais un seul droit international.

Oubangui médias : Martin Ziguelé, nous remercions. 

Martin Ziguelé : C’est à moi de vous remercier!

I

nterview réalisée par Brice Ledoux Saramalet et Belvia Esperance Refeibona