Le commerce transfrontalier, s’il est convenablement accompagné, peut être un moyen important de lutter contre la pauvreté, l’insécurité alimentaire, les conflits et d’autres vulnérabilités socio-économiques dont souffrent les populations locales 

Aujourd’hui, avec les défis de la mondialisation et de l’interdépendance qui s’imposent aux économies de la CEMAC et de la CEEAC, avec le risque d’une marginalisation, atteindre les objectifs de Zone de Libre Echanges Continentale (ZLECAF) est devenu plus que prioritaire et coïncide avec les enjeux de l’intégration régionale. Dans cette perspective, l’analyse du commerce ne concerne généralement que le commerce formel, dûment répertorié par les institutions nationales et internationales, et contrairement au commerce informel qui est mis en marge.

En Centrafrique, le commerce transfrontalier informel est un vecteur important de développement économique avec les six pays limitrophes notamment : Cameroun, Tchad, Congo Brazzaville, Soudan, Soudan du Sud et la République Démocratique du Congo (RDC). La RDC partage la plus longue frontière poreuse riveraine au Sud Oubangui avec la République Centrafricaine (RCA) à l’instar des autres. Le commerce transfrontalier informel entre ces deux pays se développe tout au long du fleuve Oubangui jusqu’à Mbomou, en passant par les villes : Bangui, Mongoumba, Kouango, Mobaye et Bangassou qui sont des zones très fréquentables.

Le petit commerce informel est un moyen de survie et d’emploi pour au moins 5 000 commerçant (e)s et  des groupes des jeunes désavantagés et des femmes marginalisées qui dépendent d’eux, dans les deux pays, plus précisément de la RCA qui a souffert longuement des conflits armés et où les autres options économiques sont limitées. Ces liens commerciaux transfrontaliers sont une preuve visible de l’interdépendance économique entre la RCA et la RDC, et constituent un levier important pour la croissance économique ainsi que pour le rapprochement entre les populations, souvent divisées et méfiantes à l’égard des populations voisines à cause des conflits violents qui ont touché et continuent de toucher ces populations.

Le petit commerce transfrontalier informel est très largement dominé par les femmes commerçantes, elles ne sont pas enregistrés au niveau du département de commerce et ne paient pas d’impôt. Toutefois, ils/elles paient des taxes à l’exportation ou à l’importation (selon le cas) et traversent souvent avec des documents de voyage aux points frontaliers officiels. Elles contribuent ainsi à l’économie nationale, bien qu’une partie de leur activité soit informelle : selon les échanges réalisés auprès de quelques agents de contrôle de la douane, une estimation au poste de contrôle tout au long du fleuve Oubangui, elles totalisent 70 % des commerçantes sur quatre postes frontaliers du pays avec la RDC.

Les produits échangés entre la RCA et RDC

Les produits des échanges entre ces deux pays reposent généralement sur plusieurs gammes des produits de pêches (poissons fumés…), cueillettes (chenilles) agricoles (maniocs, maïs, huile de palme, haricots rouges, arachides…), manufacturiers (appareils électroménagers, des postes radio, panneaux solaires) en forme irrégulière de biens panachés des produits cosmétiques (crèmes de beauté, poudres, parfums et des articles plastique…).

Les modes de transport beaucoup plus utilisés sont le transport fluvial via l’utilisation des pirogues, des barques et le bac ; et terrestre par des taxis, des camions, des mototaxis et des vélos tout au long des frontières en passant par Bangui, Mongoumba, Kouango, Mobaye et Bangassou.

Difficultés rencontrées aux postes des frontières

Le commerce transfrontalier informel est extrêmement important pour l’économie centrafricaine, mais il souffre d’extorsion, de harcèlement et de violence.

De même, l’accès au financement est une contrainte majeure pour les commerçants, car l’épargne personnelle et les réseaux informels sont les canaux les plus courants d’accès au financement pour les commerçants, notamment les femmes. Les produits et services financiers formels sont considérés comme plus difficiles à adopter. L’épargne personnelle est la principale forme de financement pour les commerçants, hommes et femmes, dans tous les corridors.

En outre, la majorité des commerçant(e)s ignorent les textes fondamentaux sur le commerce, la douane, les impôts et taxes ce qui les rend plus vulnérables aux tracasseries. Selon les informations de l’Oubangui Médias, les commerçant(e)s n’ont pas, en général, accès aux informations disponibles sur les sites officiels et ignorent pour l’essentiel, l’existence de telles informations. Il en est de même pour les réglementations commerciales régionales souvent complexes, techniques et inaccessibles pour des femmes dont la plupart sont analphabètes ou ne bénéficient que d’un niveau d’instruction très bas. Cette ignorance accroit leur vulnérabilité face aux agents de contrôle et les met en position de faiblesse, les obligeant à payer des taxes quelques fois indues.

Au port de Kolongo dans le 6ème arrondissement de Bangui, une commerçante témoigne : « Si l’agent de contrôle dit qu’il y a un papier à remplir et que tu ne connais pas, tu négocies. Il écrit et toi aussi tu donnes quelque chose avant de partir… On se demande si ce sont les autorités vraiment qui disent de faire çà. Mais comme on ne peut pas contredire, nous sommes obligés de faire et de continuer notre chemin. Mais si ce sont les hommes qui négocient, ces agents n’acceptent pas facilement comme nous ».

Dans certains cas, ces femmes ont été invitées à payer de lourds pots-de-vin aux fonctionnaires pour être libérées et pour éviter l’arrestation ou la confiscation de leurs biens.

Les besoins spécifiques des commerçantes dans la réalisation des infrastructures de commerce au niveau des frontières et leur localité sont ignorés. Les commerçantes sont en général exclues dans la répartition des infrastructures telles que les magasins de stockage de marchandises. Le manque d’infrastructures routières et fluviales, les routes sont quasiment inexistantes sur des milliers de kilomètres à Kouango, Bangassou et Mobaye avec des ports fluviaux rudimentaires.

Nombreuses sont celles-là qui demandent à ce que le gouvernement puisse les former sur les textes légales, leurs droits et devoirs.

L’implication souhaitée des politiques

Cette analyse de l’Oubangui Médias a mis en lumière les enjeux du développement du commerce transfrontalier informel ainsi que les obstacles majeurs qui limitent les capacités des commerçants à mieux développer leur potentiel commercial et à contribuer à l’économie centrafricaine de manière formelle. Selon un analyste économique, Jésus Jackson Yoko-Mokobongo, le commerce transfrontalier informel est essentiel pour déterminer le niveau du commerce entre les deux pays et pour appuyer l’accroissement des flux commerciaux : « Pour mieux encadrer le commerce transfrontalier informel afin qu’il puisse contribuer pleinement au développement économique, les ministères en charge du Commerce, d’Industrie, des Travaux publics et de l’Urbanisme et Habitat, doivent prendre en considération ces obstacles analysés plus haut. Prioritairement, les efforts publics doivent être orientés vers : la collecte des données sur le commerce transfrontalier informel avec la RDC, la structuration et le renforcement des capacités des organisations de financement auxquelles adhèrent les commerçants (tontine). L’encadrement des structures dans lesquelles les commerçantes adhèrent, afin de sensibiliser et renforcer leurs capacités (calcul des droits d’importation, seuils en franchise de droits) à travers la traduction des textes fondamentaux sur le commerce dans les principales langues locales. Cela peut contribuer à réduire l’ignorance des commerçants et les tracasseries routières », a-t-il fait observer.

« La sensibilisation des fonctionnaires au niveau des frontières aux droits des commerçants transfrontaliers en vue d’un meilleur traitement des femmes, afin de réduire les cas de harcèlement, et prévoir le cas échéant des sanctions sévères est important. L’intégration des besoins spécifiques des commerçantes dans les plans d’aménagement et réalisation d’infrastructures commerciales au niveau des frontières est à envisagé. Par exemple, prévoir toujours des latrines, logements séparés. La promotion de l’approche genre auprès des autorités locales afin qu’elles appliquent le quota genre dans la répartition des espaces et infrastructures de commerce. Réhabiliter les infrastructures routières et fluviales voire faire l’excavation de la rivière Oubangui comme le canal de Suez, car ce sont ses voies qui font le développement », a ajouté Jésus Jackson.

L’on doit croire, à une influence sur le commerce transfrontalier informel avec ce pays voisin, les mouvements de convois de commerçants informels qui traversent régulièrement les frontières jour et nuit pour échanger des marchandises et des services, faisant lieu à des flux importants qui représentent une part colossale bénéfique du commerce dans l’économie de la RDC.

Lors des récentes crises militaro-politiques, pré et post électorales de l’an 2020-2021 en Centrafrique, le corridor Bangui-Douala a été bloqué par la rébellion Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC). La capitale Bangui et autres villes ont été confrontés à des difficultés d’approvisionnement des produits de premières nécessités et alimentaires. Les Centrafricains avaient le regard tourné vers la RDC et le Congo Brazzaville pour être approvisionnés à des divers produits alimentaires et autres.

Le pays manque encore des données commerciales officielles qui tiennent généralement compte de l’impact du commerce informel, ce qui entraîne une sous-estimation du commerce entre les deux pays pendant ainsi que les autres pays voisins de la RCA.

Zarambaud Mamadou