La République centrafricaine traverse depuis 2013 une crise militaro-politique avec le coup d’État de la rébellion Séléka dirigée par Michel Djotodja contre l’ex président François Bozizé. Plusieurs autres crises sécuritaires se sont succédées jusqu’à l’avènement de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), bloquant ainsi le circuit économique du pays. En outre, le pays est victime de crise sanitaire mondiale suite à la pandémie de la Covid-19. Ces crises ont plongé davantage la RCA dans une extrême pauvreté jusqu’à la récession économique et 57% de la population vit dans l’insécurité alimentaire. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale a présenté le 04 aout 2021 à Bangui, la 4em édition des cahiers économiques de la République centrafricaine intitulé « Investir dans le capital humain pour préserver l’avenir ». Une occasion qui a permis à Oubangui Médias de tendre son micro à Han Fraeters, représentant de cette institution bancaire en Centrafrique pour qu’il s’exprime sur le contexte socio-économique du pays.

Oubangui Médias : Bonjour monsieur le Représentant. La Banque mondiale a présenté le 04 août 2021 à Bangui, la 4em édition des cahiers économiques de la République centrafricaine. Alors, étant représentant résident de cette institution bancaire en RCA, dites-nous quel sont les points saignant de ces cahiers économiques ?

Han Fraeters : Bonjour. L’état des lieux a montré que l’année 2020 a été l’année de la Covid-19 couplée avec la crise sécuritaire, ce qui a obligé l’économie centrafricaine à entrer en récession. Et, en commun avec le gouvernement, on a choisi de mettre un peu de lumière cette année sur le sujet du capital humain parce que c’est la ressource humaine qui constitue le moteur de l’économie d’un pays. La projection démographique jusqu’à 2050, montre que la population sera en majorité ceux qui seront en âge de travailler. Ce qui veut dire que plusieurs personnes entreront sur le marché de l’emploi. Ceci favorisera l’augmentation de la production. Mais pour arriver à ce stade, il faut préparer une bonne ressource humaine à travers le système éducatif et sanitaire. Donc, si le pays veut bénéficier de son potentiel démographique, le gouvernement doit investir dans ces secteurs dès maintenant sinon cela sera le contraire.

Oubangui Médias : Alors de tout ce qui précède, quelle est votre lecture du contexte économique centrafricain à l’heure actuelle ?

Han Fraeters : L’économie centrafricaine est résiliente. La croissance de l’année passée est de 0,8%. Elle est supérieure à celle des certains pays voisins. Le pays à un énorme potentiel en matière de sous-sol qui est trop riche en ressources minières. Le pays dispose aussi des atouts forestiers, de potentiel agricole et touristique. La population est à majorité jeune. Mais, ce qui empêche les investissements du secteur privé sont des éléments de gouvernance, de climat des affaires et l’insécurité. On est dans un pays plein de potentiel où quelqu’un veut investir mais il n’est pas sûr que son investissement soit protégé. Et aussi, on vit la peur au ventre du fait que le pays peut connaitre un climat d’insécurité d’un moment à l’autre. Pour ce faire, le gouvernement doit travailler sur ces éléments de base qui sont essentiels pour que les investisseurs aient la confiance d’injecter leur financement.

Oubangui Médias : L’économie d’un pays est liée à la vie sociale de sa population, dites-nous comment vous appréciez la situation humanitaire en Centrafrique ?

Han Fraeters : Sur le plan humanitaire, je suis plus pessimiste car, 72% de la population vit dans l’extrême pauvreté et les derniers chiffres montrent que 57% de la population souffre de l’insécurité alimentaire. En outre, le coup que les acteurs humanitaires ne cessent de subir suite au climat de l’insécurité a aggravé la situation. Les ONG apportent des appuis considérables aux efforts du gouvernement dommage que  les acteurs ne sont pas souvent protégés. Ce qui impacte sur la relation de confiance entre le gouvernement et le milieu des acteurs humanitaire. Du coup, je juge la situation humanitaire très préoccupante.

Oubangui Médias : Certains partenaires de Centrafrique ont suspendu leurs financements ou aides budgétaires. Selon vous, que pourront être les raisons ou les coulisses de cette suspension et les conséquences qui peuvent en découler? 

Han Fraeters : Un seul partenaire bilatéral (NDLR : La France) a suspendu son aide budgétaire et les raisons ont été rendues publiques alors je ne pourrais pas me prononcer là-dessus.

L’appui budgétaire n’est pas un montant d’argent que l’on transfère du compte bancaire d’un partenaire au gouvernement. Mais, cela fait appel à tout un plan de réforme dans les différents secteurs, la vision et la gouvernance du pays. Si ces réformes sont faites et approuvées alors le partenaire pourra apporter son appui budgétaire ou non s’il juge que ces réformes ne riment pas à sa vision des choses. Cela n’a rien à voir avec les affaires politiques du pays.

Oubangui Médias : Devant la santé maladive de l’économie centrafricaine, est-ce-que la Banque mondiale sera-t-elle dans cette logique de suspendre son aide budgétaire aussi à la Centrafrique?

Han Fraeters : En ce qui concerne la Banque mondiale, nous avons un portefeuille de financement des projets actifs qui s’élevé  à 700 millions de dollars. Je crois que si on voit le niveau de financement que la Banque mondiale donne en Centrafrique par habitant, je dirai que c’est le plus haut par rapport aux autres partenaires.

Par exemple, nous avons approuvé le mois passé au niveau du Conseil d’administration un financement de 50 millions de dollars pour lutter contre l’insécurité alimentaire. On a aussi approuvé 50 millions de dollars dans le cadre d’un projet de l’autonomisation des femmes et filles et 75 millions de dollars pour le projet de connectivité  sur la route de Bangui à Douala mais aussi pour finaliser la construction de route jusqu’à Amdafock.

Je ne crois pas qu’à un moment de l’histoire, la Banque mondiale a arrêté son financement en Centrafrique. Nous sommes engagés aux côtés  gouvernement. Mais ce qui est important qu’on a même souligné dans le rapport est que le gouvernement a beaucoup de chose sous son contrôle. A cet effet, il doit travailler pour augmenter ses propres ressources et je crois que le gouvernement est entrain de maximiser des efforts sur cet aspect à travers les recettes des différents secteurs économiques. Cependant, il doit également faire un bon choix en matière de gestion de chaque ministère pour s’assurer des dépenses.

Oubangui Médias : Dans votre discours de circonstance lors de la présentation des cahiers économiques de la RCA 4em édition, vous avez mis un accent particulier sur le dialogue inclusif. Une idée qui n’est pas partagée par le gouvernement centrafricain en ce qui concerne la présence des groupes armés réunis dans le CPC à la table de discussion. Alors dites-nous quelle sera la réaction de la Banque mondiale au cas où les autorités de Bangui maintiennent leur position vis-à-vis des chefs rebelles?

Han Fraeters : Je retiens dans les différents échanges que les expressions dialogue et inclusif sont des termes délicats dans ce pays et beaucoup des gens ont aussi des interprétations différentes de ces termes. Nous avons dit, dans un pays où on veut avoir une économie croissante, des moyens pour les ménages, et éviter la récession, il faut avoir une situation sécuritaire fiable. Et, normalement cela a beaucoup de caractéristiques dont l’une est un climat politique apaisé. Nous avons dit aussi que,  ceux qui sont impliqués dans un conflit doivent savoir quels sont les prix et coûts sur l’économie du pays et des ménages. La Banque mondiale a fait de plaidoyers mais certaines personnes utilisent ce moment pour mettre la Banque mondiale d’un côté ou d’un autre mais cela ne m’intéresse pas et cela n’est pas notre activité ici. Ce n’est pas à la Banque mondiale de dicter au gouvernement comment il doit organiser le dialogue, qui doit y prendre part ou non. Nous ne prenons pas part à des débats politiques. 

Oubangui Médias : Des recommandations ont été faites dans cette 4em édition des cahiers économiques. Quel message vous pouvez adresser au gouvernement centrafricain pour que les objectifs recherchés puissent avoir des résultats escomptés ?

Han Fraeters : Nous avons fait des recommandations dans ces cahiers économiques. Si le gouvernement travaille dans des conditions qui vont de pair au fonctionnement de la Banque mondiale alors nous allons apporter notre appui financier. Mais, si le gouvernement choisit de faire de manière ou d’une autre qui ne cadre pas à nos principes, peut-être que d’autres partenaires pourront apporter leur financement mais pas la Banque mondiale du fait que la vision du gouvernement répond à leurs critères et non aux nôtres. Nous sommes un organisme multilatéral mais les pays eux-mêmes sont les propriétaires et la RCA est l’un des propriétaires de la Banque mondiale en étant présente dans le Conseil d’administration. C’est ledit Conseil qui donne des consignes, qui orientent comment la Banque mondiale fonctionne et nous sommes là que pour mettre ces consignes en œuvre. Cependant, même dans les contraintes de mon organisation, je ferai toujours de mon mieux pour aider le gouvernement centrafricain.  

Oubangui Médias : Monsieur Han Fraeters je vous remercie !

Han Fraeters : C’est à moi de vous remercier pour l’opportunité donnée afin de m’exprimer sur la situation socioéconomique de l’heure en Centrafrique.

Interview réalisée par :

Brice Ledoux Saramalet