La Centrafrique enregistre des cas de pénurie de produits alimentaires depuis quelques mois. Le Cameroun voisin qui ravitaille ce pays a dû suspendre l’exportation de plusieurs produits vers la Centrafrique, plongeant ainsi le pays dans une crise alimentaire.  La Banque mondiale dans l’une de ses publications a averti que la crise alimentaire enregistrée dans plusieurs pays pourra durer encore quelques années. Alors, comment la Centrafrique doit faire pour sortir de cette crise ? Oubangui Médias propose une réflexion.

L’agriculture est le socle du développement. Mais en Centrafrique, plusieurs projets se mettent en place sans que ce secteur ne connaisse véritablement un développement. Ce pays reste pourtant dépendant des produits alimentaires importés et ne tarde pas à tomber dans les pénuries comme cela s’observe dans le pays actuellement. Un sac de farine se vent à 38.000 FCFA, celui du riz 34.000 FCFA, l’huile raffinée se vend à 1700 FCFA le litre, une petite cuvette d’arachide à 15.000 FCFA…La situation est plus que jamais délicate pour ce pays où la majorité de la population ne vit que d’un dollar par jour.

Nanti d’un sous-sol riche, la République Centrafricaine (RCA) appelée encore Centrafrique peine à profiter de ses 15 à 17 millions de terre arable. Des stratégies doivent être développées pour booster le secteur qui est un vecteur incontournable de l’autosuffisance alimentaire et lutter contre la malnutrition et la famine dans le pays. Pour parvenir à ce niveau, une mécanisation de l’agriculture s’impose.

La nécessité de passer à la mécanisation de l’agriculture

Dans ce pays où il y’a plusieurs opportunités d’investir dans le développement de l’agriculture, la mécanisation pose encore un réel problème. Tous les projets qui interviennent dans le domaine du développement agropastoral ne pensent pas un instant à financer la mécanisation de l’agriculture centrafricaine.

Dans presque tous les projets, le gouvernement continue à valider la distribution des houes, des machettes…en lieu et place d’achat des tracteurs. Les grains sont distribués en lieu et place des véritables semences. Presque tous les projets ne font qu’encourager l’agriculture de subsistance et non l’agriculture de rente.

Imaginons un instant, la zone comme la préfecture de Lim-Pendé, considérée comme grenier de la RCA continue d’utiliser les charrues pour l’agriculture. Dans notre parution du 22 avril 2022, nous avions mis en valeur le gain enregistré par les agriculteurs de cette zone, qui avoisine plus d’un milliard et demi  de FCFA en six ans. Ces chiffres sont rendus possibles grâce à l’implication de plusieurs partenaires internationaux à travers plusieurs projets. Mais, le président des agricultures de cette zone s’est plaint du fait qu’ils continuent à utiliser des moyens rudimentaire et parfois les charrues pour cultiver.

Pourquoi ne pas utiliser les milliards investis dans l’agriculture pour l’achat des tracteurs, l’un des éléments de la mécanisation de l’agriculture ? Selon nos informations auprès des entreprises agroalimentaires du pays, l’achat d’un tracter semi-moderne et tous les coûts qui s’en suivent jusqu’à Bangui s’élève à environ 20 millions de FCFA.

Une chose est surprenante. Les projets qui arrivent en Centrafrique mettent comme priorité l’achat des véhicules V8 ou 4×4 pour les responsables de ces projets. Un V8 avec tous les coûts jusqu’à Bangui fait 85 millions de FCA. Un montant qu’on peut s’en servir pour acheter déjà 4 tracteurs en sachant qu’un tracteur semi-moderne peut faire 3 hectares par jour.

Les projets de l’agriculture mettent aussi beaucoup d’argent dans les études et la coordination. Chaque projet vient avec ses études. En fin de compte, c’est juste des miettes qui arrivent aux bénéficiaires. Raison pour laquelle, on  acheté des houes et machettes et on donne des grains achetés localement aux bénéficiaires.

Jusqu’en 2022, le pays dispose moins de 50 tracteurs. Sont-t-ils réellement mis à la disposition des bénéficiaires ? Pas tous les tracteurs car, certains engins du type se retrouvent dans les fermes des anciens ministres, des députés et des dignitaires au détriment des agriculteurs.

Prenons juste l’exemple de la production du maïs. En Centrafrique, avec des moyens rudimentaires et dans le cadre des groupements, on produit 500 Kg de maïs par hectare. Le prix de vente s’élève à 250 FCFA le kilogramme pour au total 125.000 FCFA l’hectare, après trois mois semence.

Au Cameroun voisin par exemple, la production varie à 3000 Kg par hectare. La vente s’effectue à 100 FCFA par kilo et le producteur pourra encaisser en trois mois 300.000 FCFA par hectare.

Entre temps, le maïs est plus consommé ainsi que ses produits dérivés. L’élevage de poulet de chair consomme énormément le maïs, c’est-à-dire 80%. Si la production est augmentée, on pourra élever les poulets beaucoup plus en RCA et réduire l’importation d’environ 1000 containeurs des poulets surgelés qu’on importe chaque année vers la RCA.

Le maïs est utilisé comme farine, qui sert à la production du pain. Pour avoir 1kg de farine de maïs, il faudra 2Kg de maïs égrainé. Le maïs est aussi utilisé pour la fabrication des boissons alcoolisées. Le malt importé au Brésil par la société Mocaf pourra être remplacé par le maïs si la production est élevée. Cela permettra d’éviter la fuite des capitaux organisée par cette société pour que l’argent reste au pays. 

Et l’implication de la FAO ?

Avec son budget de plus de 3 milliards de FCFA (5 millions d’euros) par année, le Fonds des Nations-Unies pour l’Agriculture mobilise cette somme au nom de la République Centrafricaine pour investir dans l’agriculture. Force est de constater que ce financement va dans le projet du type « produire pour nourrir », c’est-à-dire l’agriculture de subsistance. Pas de politique réelle pour le développement et la mécanisation de l’agriculture parce que les foyers doivent juste produire un peu pour leur alimentation.

La distribution des semences, des vraies semences ne s’effectue pas comme il se doit. L’on se contente d’acheter les grains parfois mal traités pour redistribuer aux agriculteurs.

Et en fin de compte, on assistance à une stratégie qui consiste à maintenir les centrafricains dans la dépendance de l’aide alimentaire. Un ministre de l’agriculture, courageux qu’il soit ne tentera pas de dire non à cette politique car son poste sera en jeu. Un véritable business s’effectue sous silence.

Que devons-nous vraiment faire ?

Le gouvernement doit être plus que jamais rigoureux au sujet de la mécanisation de l’agriculture afin de maximiser les productions et sortir petit à petit de cette dépendance alimentaire. Il doit exiger dans tous les projets l’achat des tracteurs ainsi que tous les dispositifs qui y vont de pair (chauffeurs, carburant, entretiens, mécanique…).

Tous les projets de l’agriculture doivent être validés entièrement ainsi que les budgets avant toute mise en œuvre.

La Jeunesse Pionnière Nationale (JPN)  doit réellement s’investir dans le développement de l’agriculture comme dans un passé lointain.

La RCA doit produire pour nourrir son peuple et transformer les produits localement. L’agroalimentaire doit prendre son envole dans ce pays qui a d’énorme potentialité. 

Les véritables banques agricoles doivent voir le jour en Centrafrique afin d’octroyer des crédits agricoles aux groupements et coopératives ainsi qu’aux entreprises agroalimentaires pour le développement de ce secteur.

Fridolin Ngoulou