Déclaration au Conseil de sécurité de l’ONU de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en République centrafricaine et Cheffe de la MINUSCA, Valentine Rugwabiza

21 février 2023

Mme Vanessa Frazier, présidente du Conseil de sécurité,

Distingués membres du Conseil,

Excellence Madame la Ministre des Affaires Etrangères et des Centrafricains de l’Etranger de la République Centrafricaine,

Excellences, Mesdames et Messieurs,

1. J’ai l’honneur de me joindre à vous pour présenter le dernier rapport du Secrétaire général sur la République centrafricaine et vous informer des développements récents et de la mise en œuvre du mandat de la MINUSCA. Le processus de paix et politique, sous la direction du Gouvernement et la coordination efficace du Premier ministre, a continué d’avancer jusqu’à la mise en œuvre du calendrier adopté par le Gouvernement le 29 août 2022, qui mutualise l’Accord de paix politique et la feuille de route de Luanda. Alors que nous voudrions toujours réaliser la paix rapidement, nous constatons des progrès grâce à l’appropriation accrue du Gouvernement, comme dans les préparatifs des élections locales, la réforme du secteur de la sécurité, l’extension de l’autorité de l’État et l’adoption d’un cadre opérationnel cadre de gestion des frontières. Ceci est bienvenu car la population centrafricaine est confrontée à une myriade de défis, aggravés par une situation socio-économique qui se détériore.

 2. La lutte contre la violence est au cœur du processus de paix en RCA. La voie vers une paix durable passe par un dialogue inclusif et constructif, car l’option militaire ne peut à elle seule résoudre le conflit de manière décisive ni durable. L’engagement politique avec les dirigeants des groupes armés reste essentiel et commence à donner des résultats modestes. En décembre 2022, nous avons enregistré la dissolution de quatre groupes armés signataires de l’Accord politique et représentés au Gouvernement, à savoir le Rassemblement Patriotique pour le Renouveau de la Centrafrique (RPRC), le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ), l’Union des forces républicaines (UFR) et l’Union des forces républicaines fondamentales (UFRF).

3. Cela démontre que l’engagement politique associé à de véritables incitations et alternatives pour les groupes armés peut créer une dynamique positive vers un dialogue inclusif et constructif. Les efforts déployés par les autorités nationales pour explorer les possibilités d’intégration des ex-combattants dans les forces de sécurité, y compris les membres des unités spéciales mixtes de sécurité, ainsi que pour la réintégration socio-économique à long terme des ex-combattants sont salués et nécessite le soutien de partenaires internationaux.

4. Des mesures louables ont été prises et d’autres se profilent à l’horizon. Nous attendons avec intérêt que le Gouvernement convoque le prochain examen stratégique du processus de paix et politique (après le premier qui s’est tenu en juin de l’année dernière). Ce sera l’occasion de faire le point sur les progrès réalisés, et les défis à relever. À cette fin, la stratégie d’engagement du Gouvernement avec les dirigeants des groupes armés qui reste en dehors du processus de paix est essentielle pour continuer à avancer.

5. En même temps, il existe encore des possibilités de faire progresser davantage la mise en œuvre du processus de paix et politique et de pérenniser ses acquis. Cela nécessitera plus d’implication et d’engagement des partenaires de la RCA, y compris la sous-région. Les prochaines élections locales, qui seront les premières en RCA depuis 1988, constituent une opportunité importante. Ces élections pourraient renforcer la gouvernance locale et faire progresser la décentralisation des services dans un pays où l’exclusion et les écarts centre-périphérie sont parmi les causes profondes des conflits récurrents. Je ne saurais trop insister sur l’importance des élections locales, qui sont un élément clé de l’Accord de paix politique. Ils offrent une opportunité d’élargir l’espace politique pour inclure des groupes traditionnellement marginalisés tels que les femmes et les jeunes, tout en donnant aux anciens combattants et chefs de groupes armés qui ont déposé les armes et sont restés dans le processus de paix l’occasion de se présenter. En outre, ces élections sont l’occasion pour le Gouvernement d’engager l’opposition politique dans un véritable dialogue.

6. Les autorités centrafricaines ont pris des mesures pour créer un environnement propice aux élections locales, notamment en développant son cadre juridique et en mettant à jour le code électoral pour encourager la participation des femmes. Une loi a été adoptée, créant plus de 200 circonscriptions. Mardi 14 février dernier, le Premier Ministre, le Président de la Commission électorale nationale et moi-même avons signé le plan intégré de sécurité pour les élections. Les élections locales doivent être inclusives pour être crédibles. Tous les citoyens, y compris ceux qui vivent dans des zones reculées et les centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays doivent avoir la possibilité de s’inscrire pour voter.

7. Malheureusement, l’organisation des élections locales se heurte à de nombreux défis, notamment à un grave déficit financier. J’appelle les partenaires de la RCA à soutenir ces élections pour tous les gains potentiels qu’elles apporteront probablement à la RCA et à son peuple. Il y a d’autres défis. Les élections se dérouleront également dans un environnement sécuritaire difficile et les groupes armés pourraient devenir des fauteurs de troubles. Un autre défi serait de s’assurer que les élus aient les moyens d’assumer leurs fonctions et de les exercer normalement. Après les élections, les nouveaux élus auront besoin d’un soutien considérable, en particulier dans les endroits où l’administration locale a été inexistante pendant des décennies et où les infrastructures ont été détruites ou délabrées au cours de multiples cycles de conflit. Enfin, quel que soit le désaccord entre les principales parties prenantes, il est essentiel de maintenir un dialogue politique ouvert et un processus politique inclusif de manière à ne pas attiser les tensions ou la violence. Je salue la déclaration du Premier ministre affirmant que les élections locales ne seraient pas combinées avec un éventuel référendum sur la Constitution.

Excellences,

8. La RCA a connu une période de relative stabilité et de calme pendant la saison des pluies, mais depuis décembre – avec le début de la saison sèche – les groupes armés ont intensifié leurs activités et leurs attaques. Une telle résurgence de la violence est malheureusement le modèle normal de conflit dans le pays – il est beaucoup plus facile de se déplacer par la route à travers le pays pendant cette période, ce qui facilite les tactiques de « guérilla ». Cette fois, cependant, nous avons assisté à de nouveaux développements dans le modus operandi des groupes armés, à savoir l’utilisation d’engins explosifs et de drones, impactant négativement la population, les forces de sécurité nationales, les acteurs humanitaires et les casques bleus des Nations Unies. Par exemple, le 6 février, un engin explosif a explosé près du village de Nzakoun, tuant deux soldats centrafricains et un civil. Le 10 février, un engin explosif a blessé 6 civils près de Manga. L’utilisation d’engins explosifs est principalement concentrée dans l’ouest de la RCA.

9. Il y a eu également d’autres développements préoccupants en matière de sécurité, notamment une augmentation des attaques contre les positions des forces de défense nationale. Plus récemment, le 14 février, des groupes armés ont attaqué un détachement des forces armées nationales déployé à Sikikédé, préfecture de Vakaga, tuant 16 soldats et enlevant 20 autres.

10. Ces nouvelles menaces ont eu un impact sur l’environnement de sécurité déjà complexe qui exige que la MINUSCA maintienne la flexibilité et la mobilité pour répondre efficacement aux menaces en constante évolution contre les civils. Comme je l’ai indiqué lors de mon dernier exposé, nous sommes en train de fermer 13 de nos bases d’opérations temporaires afin de maximiser l’efficacité de la Force et d’atténuer les risques d’inconduite. Cela nécessite que la MINUSCA puisse mettre en œuvre des mesures d’atténuation efficaces qui, à leur tour, nécessitent une plus grande mobilité et des informations pour répondre de manière appropriée. Cela signifie également que la Force et la Police de la MINUSCA doivent avoir la préparation adéquate et être en mesure d’utiliser tous les moyens disponibles pour les déploiements, en particulier dans les zones à haut risque. Le manque aigu d’infrastructures à travers le pays, y compris les routes et les ponts, est un défi majeur, tout comme d’autres facteurs tels que le manque d’hélicoptères militaires en nombre suffisant et les restrictions sporadiques des mouvements de la MINUSCA, ont limité notre capacité à le faire de manière efficace et cohérente. Les contraintes d’accès entravent non seulement une réponse sécuritaire efficace, mais empêchent également les Centrafricains de normaliser leur vie. Tout en rationalisant la configuration de notre mission, je continue également de donner la priorité à l’amélioration du système d’alerte précoce de la MINUSCA, un élément clé de notre posture et de notre approche globale en matière de sécurité.

11. J’ai le plaisir d’annoncer que, depuis mon dernier exposé devant ce Conseil, les autorités centrafricaines ont levé l’interdiction des vols de nuit pour la MINUSCA depuis décembre 2022. J’apprécie la bonne ambiance de travail et la coopération qui ont permis de résoudre ce problème, qui fait peser de graves risques sur le personnel des Nations Unies. Cependant, j’ai le regret d’informer les membres de ce Conseil qu’au début de ce mois, le ministère de la Défense a publié une circulaire interdisant tous les vols de véhicules aériens sans pilote en RCA, à l’exception des forces de défense et de sécurité nationales. Depuis lors, le gouvernement et moi-même, ainsi que la direction des forces des FACA et de la MINUSCA, nous sommes engagés de manière intensive et constructive, en vue de résoudre cette nouvelle restriction qui compromet notre capacité à opérer, y compris pour protéger les civils centrafricains. Il y a quelques instants, j’ai reçu du ministère de la Défense une dérogation à l’interdiction de la MINUSCA assortie de conditions, que je n’ai pas encore examinée. Je crois qu’en continuant à faire preuve de bonne volonté et d’engagements constructifs, une solution pour démesurer les restrictions opérationnelles sera trouvée. Chaque jour qu’un orbiteur reste au sol, des images précieuses ne peuvent pas être collectées, les patrouilles à longue distance ne recevront pas de couverture aérienne, les éléments armés ne peuvent pas être localisés ou surveillés, et l’état des routes et des infrastructures, telles que les ponts, ne peut pas être identifié et réparé. Cela augmente le risque pour la vie des Centrafricains, des acteurs humanitaires et des soldats de la paix.

Excellences,

14. La résurgence des tensions aux frontières de la RCA a mis en évidence la dimension régionale de la crise sécuritaire de la RCA, en particulier le long des routes de transhumance et des zones riches en ressources du nord-ouest, du nord-est et du centre-sud qui sont des points chauds de conflit. Ces zones sont vastes, volatiles et poreuses. Pour endiguer la vague d’activités rebelles dans ces zones, il faudrait une action concertée de la RCA et des pays voisins grâce à une mobilisation et une coopération sous-régionales accrues. Les organisations régionales et l’ONU peuvent jouer un rôle important à cet égard. J’utilise les voies qui s’offrent à moi pour travailler à la mobilisation des efforts régionaux sur ces questions frontalières critiques en coordination avec le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale, UNOCA.

15. J’ai le regret de signaler que la situation des droits de l’homme et de la justice dans le pays n’a connu aucune amélioration significative depuis mon dernier exposé. Je suis préoccupé par l’augmentation des violences sexuelles liées aux conflits commis par toutes les parties.

16. Dans ce contexte, nous devons continuer collectivement à soutenir les autorités centrafricaines pour renforcer leur système policier, judiciaire et pénitentiaire afin que justice soit rendue aux victimes de crimes graves de manière opportune, équitable et indépendante. Je salue le renouvellement du mandat de la Cour pénale spéciale suite aux consultations entre le Président Touadéra et moi-même. Un appui précieux a été apporté à la Cour pénale spéciale par la MINUSCA. J’appelle les États membres et les partenaires qui attachent de l’importance à la justice à contribuer au budget de la Cour qui a maintenant atteint un niveau de maturité lui permettant de traiter davantage d’affaires et de rendre justice aux victimes du conflit.

Excellences,

17. Alors que les Centrafricains sont durement touchés par la crise socio-économique, la crise humanitaire en RCA continue de s’aggraver. Le Programme alimentaire mondial prévoit que le pourcentage de la population centrafricaine souffrant d’insécurité alimentaire aiguë passera de 44 % en 2022, déjà l’un des plus élevés au monde, à 49 % en 2023. Cela a le plus grand impact sur les plus vulnérables. Une majorité de la population centrafricaine dépend de l’aide humanitaire pour sa survie. Le 9 février, le Premier ministre et le DSRSG/HC/RC ont lancé le Plan de réponse humanitaire conjoint pour 2023, avec 465 millions de dollars à mobiliser pour des interventions vitales. Bien que je sois consciente des pressions économiques mondiales et des multiples besoins humanitaires dans de nombreuses régions de notre monde, le peuple centrafricain a besoin de solidarité et de soutien internationaux. J’encourage tous les États Membres à faire preuve de solidarité envers le segment le plus vulnérable de la population en répondant généreusement à cet appel humanitaire.

18. Dans le même temps, la tendance à la baisse de la situation humanitaire ne s’inversera que lorsque le développement s’enracinera. C’est loin de la réalité, et la situation socio-économique est très préoccupante. Les réductions budgétaires pour 2023 par rapport à 2022 sont révélatrices d’une profonde contraction économique, qui accroît la pression sur la population qui a vu ses moyens de subsistance continuellement menacés. La vulnérabilité et les pressions socio-économiques sur la population font courir un risque d’insécurité qui pourrait saper les modestes gains réalisés sur les plans politique et sécuritaire. Le développement exige la stabilité, et la stabilité exige le développement. J’appelle les partenaires au développement à soutenir la population centrafricaine, l’une des plus pauvres du monde, à travers des projets sociaux et de développement ciblés et prioritaires.

Excellences,

La MINUSCA a soutenu et continuera à soutenir la RCA pour créer l’environnement politique et sécuritaire propice à la paix et au processus politique pour faire avancer la restauration de l’autorité de l’État. Mais la MINUSCA ne peut pas le faire seule. J’appelle les partenaires bilatéraux et multilatéraux à aider à consolider les gains de sécurité obtenus jusqu’à présent, à saisir l’occasion unique offerte par les élections locales pour aider la RCA à jeter les bases de la gouvernance locale, à accélérer les progrès de la réforme du secteur de la sécurité vers une défense professionnelle et forces de sécurité qui est la seule solution durable pour la RCA pour renforcer ses capacités de protection de la population et de l’intégrité territoriale.

Merci.