Ces derniers jours, la tentions ente Paris et Bangui inquiète. La question de la gestion de la crise sécuritaire, la suspension de l’aide budgétaire de la France, le dialogue politique en cours de préparation et l’avenir diplomatique entre la France et la Centrafrique sont scriptés dans cette interview exclusive de Oubangui Médias avec l’Ambassadeur de France à Bangui, Jean-Marc Grosgurin.
Oubangui Médias : Bonjour Monsieur l’ambassadeur, la Centrafrique et le Tchad tentent de faire chuter la tension après l’attaque survenue dimanche 30 mai 2021 à la frontière. La France a soutenu le Tchad et de nombreux centrafricains pensent que votre pays n’est pas loin de ces incidents car, la France a fait survoler les avions de chasses dans la zone frontalière. Que répondez-vous à ceux qui pensent que la France voulait une guerre par procuration à cause du soutien russe à la Centrafrique ?
Jean Marc Grosgurin : Bonjour. L’affrontement intervenu entre les forces centrafricaines et tchadiennes est un épisode préoccupant. Tous les acteurs régionaux et les partenaires internationaux de la Centrafrique ont souligné que cette situation devait être résolue par le dialogue. Le déplacement d’une délégation ministérielle centrafricaine à Ndjamena et le communiqué conjoint publié à l’issue sont des signaux positifs de la volonté des deux pays d’apaiser les tensions. Pour que cela perdure, il semble important que les FACA aient la pleine maîtrise de leurs opérations pour rétablir la confiance sur le terrain.
Les commentaires que vous évoquez sur un éventuel rôle de la France, illustrent une fois de plus la désinformation qui utilise systématiquement le thème de l’ingérence française pour détourner l’attention des vrais problèmes. J’ai été choqué de lire certains commentaires à ce sujet dans les médias centrafricains ces derniers jours Un mensonge, fut-il répété mille fois, ne devient pas une vérité.
La position de la France est claire : elle a condamné l’attaque, parce que des soldats tchadiens ont été tués et que cet évènement aurait pu avoir des conséquences bien plus graves. Je vous rappelle que la délégation centrafricaine l’a elle-même condamnée dans le communiqué conjoint publié à Ndjamena. Et si nous nous sommes préoccupés de cet incident, c’est bien parce que la France souhaite avant tout la sécurité et la stabilité de la Centrafrique et de la région, ce qui passe aussi nécessairement par de bonnes relations avec ses voisins.
Oubangui Médias : Il y’a quelques jours, le président Emmanuel Macron a dans une interview au JDD, qualifié son homologue Centrafrique « d’otage du groupe Wagner » tout en annonçant la suspension d’aide budgétaire à la Centrafrique. Quelles sont les motivations de ces prises de position ?
Jean Marc Grosgurin : Les actions de la CPC constituent un crime contre la population et les institutions centrafricaines. Si les rebelles sont chassés des villes qu’ils occupaient, c’est évidemment très positif. Mais il faut que cette reprise de contrôle par les FACA soit durable et ne s’exerce pas au détriment de la population ou de certaines communautés. Nous sommes actuellement inquiets face aux informations qui nous remontent du terrain : le risque est que les méthodes utilisées dans ces opérations militaires créent de nouvelles divisions, et donc perpétuent le conflit.
Depuis 2016, avec les autres partenaires internationaux, il y a eu la volonté de mettre en place une nouvelle coopération qui donne aux Centrafricains les moyens d’assurer par eux-mêmes leur sécurité et leur développement, dans le plein respect de leur souveraineté : la France a formé des milliers de militaires, gendarmes, policiers et pompiers, 200 fonctionnaires, des magistrats, des dizaines de professeurs, des médecins, des journalistes, des artistes, pour qu’ils soient les acteurs du relèvement de leur pays. Cette coopération structurante a eu des effets positifs et concrets, même si la route peut paraître longue.
Cependant, des réformes de fond doivent être entreprises et les partenaires internationaux de la Centrafrique comptent beaucoup sur la nouvelle équipe gouvernementale pour les mettre en œuvre. L’aide budgétaire française pour 2020, a été annulée et est suspendue pour 2021 mais pourra être mise en œuvre si des signaux encourageants sont adressés. La présence des 5 coopérants militaires a également été suspendue compte-tenu de nos préoccupations sur l’évolution de la situation.
Mais la France demeure présente dans de nombreux secteurs : humanitaire, éducation, santé, justice, infrastructures, économie… Nous réorientons simplement notre aide et nous continuerons à aider la population centrafricaine pour lui permettre de sortir de la crise et favoriser le développement du pay
Oubangui Médias : La Centrafrique est en phase de dialogue politique pour désamorcer la crise politique et sécuritaire. Soutenez-vous cette initiative ? Surtout que ce dialogue se fera sans les groupes armés nuisibles sur le terrain ?
Jean Marc Grosgurin : La France soutient pleinement toute initiative de dialogue politique inclusif avec l’opposition républicaine et l’ensemble des forces vives de la société centrafricaine visant à des propositions de solutions concrètes de sortie de crise, de réconciliation nationale, d’apaisement et de stabilité.
S’agissant des groupes armés ayant tenté de déstabiliser le pays, les responsables de crimes répondront de leurs actes. Il ne peut plus y avoir d’impunité. Mais une solution destinée à réintégrer dans la société les membres des groupes armés paraît souhaitable, c’est d’ailleurs le principe même des processus de démobilisation, désarmement, réinsertion. Il faut donc rouvrir un dialogue qui permette leur dissolution et une paix durable. La seule voie militaire ne peut pas être la solution.
Oubangui Médias : Plusieurs programmes de la France sont aux arrêts, nous voulons évoquer par exemple la formation des journalistes. Est-ce parce que vous dénoncer régulièrement des campagnes de dénigrement de la France dans les médias nationaux ?
Jean Marc Grosgurin : Nous voyons bien les difficultés qu’ont les journalistes centrafricains à exercer leur travail : manque de moyens matériels et de formation, pressions, forte visibilité des réseaux de désinformation qui ne manquent pas de moyens financiers… Je tiens à saluer l’intégrité et le professionnalisme de ceux qui continuent de faire leur travail d’information dans ces conditions. Leur mission est cruciale, parce qu’une information accessible et fiable est nécessaire à la sortie de la crise, alors que la désinformation divise, attise les haines et empêche de voir les véritables difficultés.
C’est pourquoi la France s’engage pour soutenir la professionnalisation des médias centrafricains et la lutte contre la désinformation. Ces dernières années, nous avons financé la formation d’étudiants centrafricains en journalisme en France et renforcé les compétences d’une vingtaine de professionnels par des séminaires à Bangui. Nous poursuivons ces efforts : CFI, l’agence française de développement des médias à l’international, vient de lancer un nouveau programme. 10 fact-checkeurs centrafricains vont bientôt être sélectionnés pour effectuer une formation d’ici 2022. Ils seront intégrés dans un réseau africain de 60 journalistes avec leurs collègues du Sénégal, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Burkina Faso. J’invite tous les journalistes intéressés à présenter leur candidature !
Oubangui Médias : Un ressortissant français a été arrêté avec des armes et effets militaires. Plusieurs autres seraient dans le viseur à cause de leur supposé proximité avec les rebelles qui ont tenté de renverser le pouvoir de Bangui. Est-ce parce que la politique de la France vers la Centrafrique n’a plus l’odeur de sainteté ou c’est juste une stigmatisation et un acharnement ?
Jean Marc Grosgurin : Si M. Quignolot a enfreint la loi, il est normal qu’il y ait une enquête et que la justice centrafricaine fasse son travail, en toute impartialité. Contrairement à ce qui a été dit sur les réseaux sociaux, la France n’a jamais fait pression sur les institutions judiciaires. Nous ne sommes en lien avec ce compatriote que pour s’assurer de sa santé et du respect de ses droits, comme nous le ferions pour tout citoyen français arrêté. Cela s’appelle la protection consulaire
Cependant, il faut bien constater que cette affaire a été instrumentalisée à des fins politiques par des réseaux de désinformation qui ont accusé notre ressortissant de liens avec la CPC, de mercenariat, de projet d’assassinat, de liens avec les services secrets français… dans les heures qui ont suivi son arrestation, alors que personne ne connaissait et ne connaît encore le fond de l’affaire. La méthode utilisée par ces réseaux de désinformation est toujours la même : faire diversion pour éluder les vraies questions.
Oubangui Médias : Quelle est l’avenir de la relation diplomatique entre la France et la Centrafrique au moment où la Russie monte en puissance dans les cœurs des Centrafricains et qu’elle est à couteau tiré avec votre pays ?
Jean Marc Grosgurin : Dans le cœur de nombreux Centrafricains, la France demeure très proche. C’est un constat que je fais quotidiennement quand je me rends sur le terrain. S’agissant des relations diplomatiques, le problème n’est pas que la Centrafrique développe ses relations avec la Russie, nous l’avons toujours dit. Elle a évidemment le droit, en tant que pays souverain, d’avoir une diplomatie ouverte à tous les partenaires qui peuvent aider à apporter la sécurité et le développement. Et nous avons toujours affirmé que l’intérêt de la Centrafrique est de s’ouvrir sur le monde et ne pas rester enclavée.
La France est là pour proposer à la Centrafrique un partenariat moderne, tourné vers l’avenir, respectueux de sa souveraineté, pas pour assurer à sa place sa sécurité et s’ingérer dans le jeu politique intérieure
Avec la nouvelle équipe gouvernementale, j’espère que des décisions seront prises pour que la Centrafrique aille de l’avant et prenne son destin en mains. Pour sa part, la France accompagnera la RCA pour le retour à la Paix, la stabilité, la souveraineté, la démocratie et le développement. Nous continuerons d’appuyer l’essor de la jeunesse par l’éducation, la formation professionnelle, la culture, le sport, en l’aidant à s’ouvrir sur l’Afrique et le monde. Parce que c’est cette jeunesse qui trouvera les clés pour l’avenir de son pays.
Oubangui Médias : Merci monsieur l’ambassadeur
Jean Marc Grosgurin : Merci aussi à vous
Interviews Réalisée par Fridolin Ngoulou
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